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le monde diplomatique
Comment fut liquidée toute une génération d’opposants
Article mis en ligne le 28 août 2019
dernière modification le 27 août 2019

En 1967, la réprobation sans cesse croissante que suscitait au sein de la population américaine l’escalade de la guerre au Vietnam provoqua en retour une escalade du sentiment de siège à Washington. Pour obvier à la « menace » du mécontentement populaire, le gouvernement américain déclencha une vaste opération de « contre-subversion », qui ne visait pas ses ennemis étrangers, mais ses propres citoyens.

Un large éventail de groupes et d’associations qui allaient des trotskistes au Ku-Klux-Klan tombèrent sous le coup du programme de « déstabilisation » officiel. Mais la principale victime de l’offensive de la C.I.A. fut le mouvement de protestation noir et, à travers lui, toute une génération de jeunes leaders noirs parmi les plus actifs et les plus prometteurs. Comme l’ont établi depuis des documents rendus publics au cours de l’enquête menée par la commission Church, le directeur du F.B.I., J. Edgar Hoover, avait ordonné en 1967 à son réseau national d’agents doubles, de provocateurs et de mouchards de s’engager à fond dans la « guerre antisubversive » contre les activistes noirs. Objectif : « Perturber, détourner, discréditer ou neutraliser par d’autres moyens l’action des nationalistes noirs ».

Dans un mémorandum daté du mois de mars 1968, soit un mois avant l’assassinat du pasteur Martin Luther King, George C. Moore, futur directeur de la section des renseignements raciaux du F.B.I, exposait les motifs de cette campagne qui violait à la fois la légalité fédérale et les droits constitutionnels de ses victimes. Le F.B.I. redoutait l’apparition d’un « messie noir » capable « d’unifier et de galvaniser » les vingt millions de Noirs américains, et il était bien déterminé à s’opposer à la formation d’une « coalition des groupes nationalistes noirs militants » en usant au besoin de mesures « draconiennes » pour neutraliser leurs principaux animateur.

Cette campagne systématique d’émasculation du mouvement noir fut officiellement, entérinée par le gouvernement Johnson ; Elle devait être encore intensifiée, par la suite, avec l’approbation du président Nixon et de son ministre de la Justice, M. John Mitchell, et la « guerre d’anéantissement » contre les leaders noirs militants resta pendant sept ans la politique officielle quoique secrète du gouvernement américain. (...)

Au moment où fut lancée l’opération Cointelpro (1), le Dr Martin Luther King était depuis longtemps déjà victime d’une campagne systématique de harcèlement de la part du FBI, qui l’espionnait sans relâche et faisait tout ce qu’il pouvait pour salir sa réputation. Lauréat du prix Nobel de la paix, personnalité mondialement connue et respectée, le Dr King n’en était pas moins considéré par le F.B.I. comme un dangereux subversif. Les agents du FBI enregistrèrent à l’aide de micros cachés les conversations du Dr King avec diverses personnes et firent courir le bruit sans aucune preuve pour l’étayer, bien entendu que plusieurs de ses proches collaborateurs blancs étaient communistes.

Au début du mois d’avril 1968, pour déjouer la surveillance du F.B.I. le Dr King annula sa réservation dans un grand hôtel de Memphis et alla se réfugier dans le motel où il devait être assassiné. Toutes les pièces du dossier relatif à cette affaire sont loin d’avoir été rassemblées, mais certains très hauts fonctionnaires du gouvernement américain soupçonnent en privé le F.B.I d’avoir trempé dans le complot ; d’autres pensent que le F.B.I., informé des préparatifs de l’attentat, ne fit rien pour s’y opposer. Une chose est d’ores et déjà certaine si le F.B.I. avait employé ne serait-ce qu’une infime fraction du temps, de l’argent et de la main-d’œuvre qu’il mobilisa pour harceler le Dr King à veiller sur sa sécurité, ce dernier serait peut-être encore vivant aujourd’hui (1978) (...)