Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
France TV Info
Coups tordus autour de l’enquête de France 2 sur Bernard Arnault
Article mis en ligne le 26 juin 2022

L’affaire d’un présumé espionnage du journal Fakir par l’ancien patron du renseignement intérieur Bernard Squarcini pour le compte de LVMH ne semble pas être un cas isolé. L’exemple du journaliste de France 2 Tristan Waleckx pose lui aussi beaucoup de questions.

Lorsque le responsable de l’émission “Complément d’enquête” sur France 2, Benoît Duquesne, s’entretien avec Tristan Waleckx qui a réalisé deux mois plus tôt un portrait-enquête incisif sur le PDG de LVMH, Bernard Arnault, le journaliste confie être surpris par la tonalité des propos tenus par son rédacteur en chef. “Il m’a dit qu’il avait tout à fait conscience que ce qui s’était passé lorsque nous avons enquêté sur Bernard Arnault était anormal, se souvient Tristan Waleckx désormais présentateur de l’émission. Il m’explique qu’il est encore possible d’investiguer sur le monde politique, comme nous l’avions fait sur Nicolas Sarkozy ou Jérôme Cahuzac, mais que ce n’est pas la même chose avec des empires comme LVMH qui ont les moyens d’être vraiment méchants. Ses propos m’ont marqué parce que Benoît Duquesne [décédé en juillet 2014, NDLR] n’avait pas le profil d’un militant anticapitaliste fustigeant les puissances de l’argent.” (...)

“Il cherche des dossiers”

Trois mois plus tôt, une scène étonnante se déroule dans “La Villa Corse”, le restaurant parisien préféré de l’ancien patron du renseignement intérieur, Bernard Squarcini alors au service de LVMH. Il a invité Michèle Fines, une spécialiste des questions policières qui a travaillé par le passé avec Benoît Duquesne. “Il cherchait des renseignements sur Benoît Duquesne, raconte Michèle Fines. Il savait que j’avais été professionnellement en conflit avec lui car je lui en avais parlé. Je lui avais même fait rencontrer Benoît Duquesne. Je pense que c’est pour ça qu’il m’invite à déjeuner. Il se dit que peut-être je vais l’aider à trouver quelque chose. Je comprends que ‘Complément d’enquête’ s’est lancé dans une enquête ambitieuse sur le patron de LVMH et qu’il cherche des dossiers pour essayer de les empêcher d’aller jusqu’au bout.” (...)

Cette pression, Tristan Waleckx l’a également ressentie durant ses investigations sur le PDG de LVMH. En mars 2014, le journaliste se rend en Roumanie, pour tenter de recueillir des témoignages d’ouvriers de la Somarest, une filiale de LVMH. Il découvre que certaines pièces de Louis Vuitton sont fabriquées sur place. “Alors que nous étions encore dans notre voiture devant l’usine, on remarque une personne en train de nous prendre en photo, de manière assez grossière, tout près du pare-brise, raconte Tristan Waleckx. Puis elle est partie en courant. À peine arrivés, nous étions déjà repérés.” Au même moment, Tristan Walekx reçoit un coup de fil de Benoît Duquesne. “Il m’explique qu’il est un peu embêté parce que le directeur général de LVMH, Nicolas Bazire, vient de l’appeler en lui disant que je distribuerais de l’argent liquide à la sortie de l’usine pour acheter des faux témoignages ! poursuit Tristan Waleckx. Je lui réponds qu’évidemment tout cela est inexact. Puis Nicolas Bazire va envoyer un mail à Benoît Duquesne dans lequel il explique que je proposerais de l’argent pour filmer en caméra cachée à l’intérieur de l’usine, ce qui était également complètement faux.” (...)

La rumeur de Bordeaux

Un deuxième épisode intriguant va perturber le journaliste de “Complément d’enquête”. “Benoît Duquesne rentre, un peu affolé, dans ma salle de montage et demande à me parler en tête à tête, sans témoin, se souvient Tristan Waleckx. Il me dit : ‘il y a un gros souci, il faut absolument que tu me dises ce que tu faisais le 29 janvier dernier, à Bordeaux.’ Je lui réponds que ce jour-là, je n’étais pas à Bordeaux, mais en tournage à Sciences Po Paris avec des anciens salariés de l’entreprise Boussac rachetée par Bernard Arnault dans les années 1980.” Le rédacteur en chef de “Complément d’enquête” n’en dit pas plus, mais cette mystérieuse histoire de Bordeaux resurgit quelques jours plus tard, à l’occasion d’une interview un peu tendue avec le PDG de LVMH, Bernard Arnault.

“Nous avions récupéré des documents montrant que contrairement à ce qu’il avait toujours affirmé, Bernard Arnault avait commencé à payer une partie de ses impôts en Belgique, explique Tristan Waleckx. Quand on lui soumet les documents, Bernard Arnault s’énerve, se lève, arrache son micro, puis me prend à parti d’un ton assez menaçant. Il me dit : faites attention, nous avons des éléments contre vous, vous allez m’avoir sur le dos !” Dans cet échange enregistré par la caméra, le PDG de Bernard Arnault accuse le journaliste d’avoir monté une opération contre lui lors d’un déplacement à Bordeaux. (...)

Ce n’est que quelques mois plus tard, début 2015, que le journaliste de “Complément d’enquête” commence à comprendre. Il est convoqué par la Brigade de répression de la délinquance contre la personne, à Paris. LVMH a déposé une plainte contre X pour “chantage” et “tentative d’extorsion de fonds”. Une information judiciaire a été ouverte au tribunal d’Agen. La police, demande au journaliste ce qu’il faisait le 29 janvier 2014, à Bordeaux. Tristan Waleckx dément s’y être rendu, avant d’être convoqué une nouvelle fois. “Le ton de la policière est beaucoup plus sec lors de cette deuxième audition, se souvient Tristan Waleckx. Elle me dit : ‘vous m’avez menti, j’ai la preuve que vous étiez bien à Bordeaux ce jour-là.’ Elle me sort des photos en me précisant qu’elles ont été fournies par le service de sécurité de LVMH. On devine effectivement une équipe de télévision mais ce n’est clairement pas moi qu’on voit sur les photos. Je sens bien que la policière ne me croit pas. Elle me sort la carte grise du véhicule qui appartient à France Télévisions en me disant : ‘c’est bizarre que vous prétendiez ne pas connaître les personnes sur la photo.’”

Et pourtant... Il s’agissait en réalité d’un véhicule de France 3 Bordeaux utilisé le 29 janvier 2014 par une équipe d’une émission matinale de France 2, “C’est au programme”. Elle était venue tourner ce jour-là à Bordeaux un reportage… sur “les étoiles du cirque de Pékin”. L’enquête se conclura par un non-lieu en 2016. (...)

“Je ne sais toujours pas ce qui s’est passé, regrette Tristan Waleckx. J’ai interrogé LVMH sur le sujet : sans succès. (...)