
Briançon (Hautes-Alpes), reportage
À 1.762 mètres d’altitude, le col de l’Échelle (Hautes-Alpes) est le plus bas entre la France et l’Italie. Depuis bientôt deux ans, y compris en hiver alors que sa route est fermée, c’est un lieu de passage des migrants. Plus au sud, leur parcours est devenu très difficile par Menton ou la vallée de la Roya (Alpes-Maritime). Depuis ce week-end, l’Échelle est au cœur d’une bataille de symboles. Mi-décembre, 300 manifestants en faisaient l’ascension pour une « cordée solidaire », par moins 15 °C dans une neige abondante, pour alerter sur les dangers de la montagne auxquels s’exposent les migrants.
Ce samedi 21 avril, le groupe d’extrême droite Génération identitaire y débutait une opération de communication pour un tout autre message. Reporterre les a rencontré au petit déjeuner ce dimanche 22 avril, sur leur campement au milieu des montagnes encore enneigées. (...)
« L’Europe aux Européens. L’Europe n’a pas vocation à accueillir toute la misère du monde... », la suite de l’argumentation détaillée par un autre membre du groupe, prénommé Aurélien est un enchaînement des idées d’extrême droite. (...)
Dans la bouche des Identitaires, la police serait absente de cette frontière. Pourtant les témoignages d’habitants font entendre un autre son de cloche. Comme celui du maraudeur Benoit Ducos, qui a sauvé une femme migrante enceinte de 8 mois de la tempête au col du Montgenèvre le 10 mars. Les patrouilles de la gendarmerie et de police aux airs et aux frontières (PAF), jusqu’en motoneige sur les pistes de ski du domaine transfrontalier de Montgenèvre sont bien présentes, dit-il. Au col de l’Échelle, elles reprendront en 4X4 une fois que la circulation sera à nouveau ouverte.
Panneau renversé par un éboulement sur la route du col de l’Echelle.
La présence policière oblige les migrants à toujours plus de risques. (...)
Pour Bastien, un soutien des migrants rencontré le 21 avril au Refuge, lieu de premier accueil mis-à-disposition par la communauté de communes à Briançon, « c’est la répression qui crée le danger pour les exilés. S’il n’y avait pas de répression, il n’y aurait pas d’accident ».
L’État a toléré le blocage du col de l’Echelle par l’extrême droite (...)
Dans les Alpes dimanche matin, les Identitaires persistent. « Par cette action, nous montrons que 100 gamins peuvent contrôler le col. L’État peut donc le faire », nous dit Aurélien. Il confirme que son groupe a bien choisi ce week-end pour peser sur le débat parlementaire. « En politique rien n’est dû au hasard », dit-il fièrement. Sur les coups de midi et demi, le camp est démonté. Au bas du col de l’Échelle, non loin du village de Névache, les gendarmes laissent aux militants le temps d’une dernière séance photo. Au moment de la pose, Reporterre ne compte que 50 protestataires, soit moitié moins que revendiqué par le groupuscule. (...)
Fort heureusement, à cause d’un enneigement qui reste exceptionnel, le col de l’Échelle n’est pas encore emprunté par les exilés. Ce que nous confirme Paolo Narcisi, de l’association Raimbow 4 Africa, qui gère un lieu de soutien aux migrants à Bardonecchia, en Italie. « Nous les avons dissuadé d’emprunter le col depuis le début de l’hiver, à cause des dangers de la montagne. Aujourd’hui, aucun migrant n’a eu affaire aux Identitaires », dit-il. Les « défenseurs de l’Europe » n’auraient donc « repoussé » personne, contrairement à leurs affirmations. Pour Paolo Narcisi, leur action n’est « qu’une démonstration pour journalistes ».
« Nous n’avons pas abandonné nos montagnes, ni aux fascistes, ni à la police »
La réponse à cette offensive de communication, est venue de la part des soutiens des migrants à 14h ce dimanche 22 avril, alors que quelques skieurs frayaient encore sur les pistes de Montgenèvre. Ils peuvent glisser comme bon leur semble de la France à l’Italie et de l’Italie à la France. Sur le domaine skiable, une quarantaine de migrants, entourés de près de 120 soutiens italiens et français marchent le long de la seule route qui relie Turin à Briançon.
Pour le militant de l’association Tous Migrants, Benoit Ducos, il s’agit de « répondre à ces gens, [les Identitaires], en défendant les droits fondamentaux, ceux de la déclaration de l’Homme, qui assurent le droit d’asile dans le pays de son choix ». La manifestation passe devant le poste frontière sans que les fonctionnaires de la Police aux frontières (Paf), peu nombreux, ne puissent intervenir. Puis elle s’engouffre dans un tunnel routier. A la sortie, un cordon d’une vingtaine de gendarmes en tenue anti-émeute l’attend. Les manifestants contournent le cordon par un talus enneigé. Enfin, après une petite bousculade avec les gendarmes, ils parviennent à poursuivre leur chemin sur la route de Briançon.
Bousculade à Montgenèvre
Après des heures de marche sous la surveillance des forces de gendarmerie, les manifestants parviennent à rejoindre Le Refuge, lieu de premier accueil à Briançon, aux cris de « Liberta, liberta ». Soulagement pour les migrants. (...)
. « Nous n’avons abandonné nos montagnes ni aux fascistes, ni à la police », se réjouit Agnès, militante de Tous Migrants. « Ensemble, Italiens et Français, nous rappelons que l’esprit montagnard n’a pas de frontière », poursuit-elle. « Ils voulaient fermer la frontière. Nous, on va l’ouvrir », dit Lisa qui s’investit dans le squat Chez Marcel. Ce dimanche, comme beaucoup d’autres avant eux et beaucoup qui suivront, 40 exilés sont placés sous la protection des citoyens de Briançon.