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Mediapart
L’État participe à rendre les femmes dépendantes de leur conjoint
#femmes #mariage #couple
Article mis en ligne le 4 février 2023
dernière modification le 3 février 2023

Une note de la Fondation des femmes publiée ce jour dénonce l’inégalité entre hommes et femmes face aux prestations sociales et aux impôts. Ces dernières sont défavorisées et contraintes de dépendre de leur conjoint. En cause, des règles administratives irriguées par une « vision patriarcale ».

Le couple n’est pas un espace neutre pour les femmes. Alors que la solidarité conjugale ne devrait pas fragiliser leur indépendance économique, les règles administratives appliquées aux couples reposent sur une « vision patriarcale » et portent préjudice aux femmes.

C’est en substance ce que démontrent Lucile Peytavin et Lucile Quillet, dans une note publiée ce jour et intitulée « La dépendance économique des femmes, une affaire d’État ? Comment le patriarcat économique de l’État dépossède les femmes de leur indépendance économique ». (...)

Respectivement historienne spécialiste des droits des femmes et autrice de l’ouvrage Le Coût de la virilité (éd. Anne Carrière) et journaliste et autrice de l’essai Le Prix à payer, ce que le couple hétéro coûte aux femmes (éd. Les Liens qui Libèrent), elles dissèquent dans une étude nourrie de données précises cette « nouvelle forme de domination » à l’œuvre au sein du couple entretenue par les institutions.

Cette note est réalisée, en partenariat avec le Crédit municipal de Paris, par l’Observatoire de l’émancipation économique de la fondation des femmes. Cette nouvelle structure a été créée pour documenter les inégalités de revenus et la précarité financière qui frappent les femmes.

Lors d’une présentation de leur travail à la presse, les deux autrices ont souligné que dès le départ les dés étaient pipés. L’État a pensé le système d’aides sociales et d’impôts sur la base d’une « vision surannée du couple », défavorable aux femmes.

Pour illustrer les effets néfastes de ce calcul, Lucile Peytavin revient sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapée (AAH) obtenue après une mobilisation des personnes concernées, qui entrera en vigueur le 1er octobre prochain. Des années durant, les revenus du conjoint étaient pris en compte pour déterminer l’éligibilité à ce revenu minimal.

Certaines en étaient privées sous prétexte que leur conjoint pouvaient les prendre en charge, les confinant ainsi dans une « situation de totale dépendance économique à son ou sa partenaire. » Pour Lucile Quillet, « l’État traite les femmes comme des mendiantes et les hommes comme des bienfaiteurs ». (...)

Aujourd’hui encore et en moyenne, les femmes vivant en couple perçoivent un revenu inférieur de 42 % à leur conjoint selon l’Insee.

Mais elles peuvent être privées de certaines prestations sociales, comme le RSA ou les allocations pour le logement (APL), si les revenus de leur partenaire sont trop élevés. Pour le calcul des APL l’administration part du principe que chacun·e participe à la hauteur de ses revenus ou partage ses revenus dans un panier commun, malgré les écarts de revenus au sein du couple.

L’attribution de la prime d’activité obéit à une même logique conjugale, alors même que cette aide a vocation à encourager l’activité économique individuelle. Elle « renvoie les femmes au chaperonnage économique de leur conjoint ». (...)

La solidarité conjugale, une notion discutable

Sans oublier les prestations familiales : l’allocation de solidarité spécifique (ASS), l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI), la complémentaire santé solidaire, l’allocation pour demandeur d’asile (ADA), le RSA ou encore l’aide juridictionnelle (AJ) qui fonctionnent sur le même modèle conjugal.

L’autre source d’inégalité relevée par Lucile Peytavin et Lucile Quillet concerne le régime fiscal. La mise en commun des ressources « a pour conséquence de faire baisser le taux d’imposition pour celui qui gagne le plus et de l’augmenter pour celui qui gagne le moins : les femmes sont donc les grandes perdantes de ce mécanisme ».

« Ces inégalités peuvent aussi être utilisées pour exercer de la violence dans un continuum de violences psychologiques, conjugales et économiques »
Lucile Quillet, coautrice de la note (...)

elon diverses études, « le manque à gagner pour l’État découlant de la conjugalité de l’impôt est colossal, les estimations allant de 11,1 milliards d’euros en 2017 à 27,7 milliards d’euros. »

Surtout, la France reste à la traîne par rapport à nombre des pays européens en appliquant une imposition commune aux couples. La majorité des pays de l’Union européenne ont mis en place une imposition séparée par défaut : Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, Grèce, Italie, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède, Hongrie, etc.

Pour toutes ces raisons, les autrices de la note invitent les pouvoirs publics à questionner la notion même de « solidarité conjugale » car elle semble « discutable et peu en adéquation avec les réalités du couple et de la famille aujourd’hui au regard du nombre de séparations, de familles monoparentales et d’unions libres ». D’autant plus que le « postulat d’une redistribution égalitaire au sein des couples » est obsolète comme ces derniers ne mettent plus forcément toutes leurs ressources en commun. (...)

Les autrices de l’étude plaident pour l’ouverture d’un débat sur la modernisation des règles administratives et fiscales « afin qu’elles ressemblent de façon plus juste à la société française d’aujourd’hui ».