
Si l’enquête judiciaire visant l’ancien présentateur vedette Patrick Poivre d’Arvor a été classée sans suite, les 23 témoignages de l’affaire posent la question de la responsabilité de la chaîne. Les 9 et 18 novembre, les élus syndicaux ont interpellé la direction. Elle n’a pas souhaité réagir publiquement ni diligenter d’enquête interne.Si l’enquête judiciaire visant l’ancien présentateur vedette Patrick Poivre d’Arvor a été classée sans suite, les 23 témoignages de l’affaire posent la question de la responsabilité de la chaîne. Les 9 et 18 novembre, les élus syndicaux ont interpellé la direction. Elle n’a pas souhaité réagir publiquement ni diligenter d’enquête interne.
Le 9 novembre, au lendemain de la prise de parole de huit plaignantes de l’affaire « Patrick Poivre d’Arvor » dans Libération, les élus CGT ont interpellé la direction de TF1 informellement : comptait-elle réagir officiellement ? Neuf jours plus tard, lorsque Gilles Pélisson, PDG de la chaîne, a évoqué l’affaire en comité économique et social (CSE) en rappelant la « tolérance zéro » face aux violences sexuelles, les dispositifs mis en place en interne et l’importance de l’écoute des salarié·e·s, ils ont insisté : pourquoi ne pas relayer publiquement cette position dans un communiqué et apporter le soutien aux femmes qui témoignent ? Pourquoi ne pas donner la parole aux plaignantes, puisque PPDA avait pu s’exprimer près de 30 minutes dans l’émission « Quotidien » (groupe TF1) en mars ? Une représentante de Force ouvrière a appuyé leur intervention : il faut accueillir et prendre en compte la parole des femmes.
À l’arrivée, la chaîne n’a diffusé aucun communiqué et n’a diligenté aucune enquête interne.
Dans cette affaire, Patrick Poivre d’Arvor, 74 ans, a contesté tout acte sexuel non consenti, et, en juin, l’enquête judiciaire a été classée sans suite pour prescription pour une grande partie des témoignages, ou pour « infraction insuffisamment caractérisée ». Restent cependant d’autres questions – d’intérêt public – que la dimension pénale. Le comportement de l’ex-présentateur vedette était-il approprié dans le cadre professionnel ? Qu’a su la chaîne, au fil des années, des agissements dénoncés ? A-t-elle rempli son obligation de sécurité à l’égard de ses salarié·e·s, qui figure dans le code du travail ? Qu’a-t-elle mis en place depuis la révélation de l’affaire ? L’employeur, s’il a connaissance de faits – parce qu’il a été saisi ou parce que des éléments ont été rendus publics –, est tenu de mener une enquête interne pour faire toute la lumière.
Les 23 témoignages de la procédure judiciaire, que Mediapart a consultée, et les récits révélés successivement par plusieurs médias – Le Parisien, Le Monde, Libération – dénoncent un « même mode opératoire », comme le souligne dans son rapport le policier chargé de l’enquête, et ils laissent entendre que ce comportement était notoire au sein de la chaîne.
Par ce qu’ils racontent de l’ambiance qui a pu régner à TF1 au fil des années et des comportements présumés d’autres hommes, ils renvoient aussi à la chaîne des questions allant bien au-delà de l’affaire PPDA. Surtout dans un groupe déjà marqué par les accusations de harcèlement sexuel à l’encontre de deux recrues (qui ont toutes deux contesté les faits et saisi la justice) : le présentateur Darius Rochebin (au cœur d’un article fouillé du Temps, puis mis hors de cause par l’enquête interne de la chaîne suisse RTS) et le directeur de la rédaction de TF1 Éric Monier (mis en cause par plusieurs témoignages publiés par BuzzFeed puis par une plainte, classée sans suite en raison de la prescription). (...)
L’affaire est « forcément compliquée aujourd’hui pour TF1 », reconnaît auprès de Mediapart Philippe Pécoul, directeur de la rédaction de « Sept à Huit ». Mais il affirme que cet élément ne sera pas éludé (...)
Des alertes et « avertissements » d’après les plaignantes
Lors des auditions, plusieurs plaignantes ont exprimé leur « colère » face à l’inaction de la chaîne à l’époque. « Tout le monde savait plus ou moins ce que s’autorisait Patrick Poivre d’Arvor », « personne ne lui a jamais rien dit, il y avait un climat qui encourageait ça », a déclaré aux policiers Chloé*, une journaliste de TF1 qui a déposé plainte pour viol contre l’ex-présentateur vedette, pour des faits remontant à 2003. (...)
« Bien sûr que Patrick Poivre d’Arvor pesait, reconnaît auprès de Mediapart Catherine Nayl, ancienne directrice des reportages de la chaîne. Il était omnipuissant parce que c’était quelqu’un qui rassemblait des millions de téléspectateurs, qui rapportait des parts d’audience, c’était important pour TF1, il avait un accès direct à la direction générale. Et au niveau journalistique, il était légitime, il avait une culture politique, etc. » Plusieurs plaignantes ont affirmé que c’était la raison de leur silence. (...)
Plusieurs femmes ont cependant affirmé qu’au sein de la chaîne, des « avertissements » étaient faits à l’oral aux nouvelles arrivantes ; que dès qu’elles sont arrivées à TF1, on les aurait mises en garde en leur disant de ne pas se retrouver « seules dans l’ascenseur avec Poivre », ou en les prévenant des questions intimes qu’il posait aux jeunes femmes journalistes. « On m’a dit : “Tu vas voir, ça va t’arriver à toi aussi” et “est-ce qu’il te l’a fait ?” [...] On me demandait si PPDA m’avait déjà “coincée” », a par exemple relaté Cécile Delarue. (...)
La direction de TF1 saisie d’aucune plainte formelle
Durant l’enquête judiciaire, les cadres de TF1 n’ont pas été auditionnés. Lorsqu’on les questionne aujourd’hui, les uns renvoient la balle aux autres : les anciens dirigeants vers ceux qui travaillaient au quotidien avec PPDA dans la rédaction ; l’actuelle direction de la chaîne vers celle de l’époque. (...)
Dans les réponses de certains anciens salariés de TF1, le soutien à PPDA reste très fort. Il en va ainsi de ses deux assistantes, qui n’ont pas souhaité nous répondre (...)
Chez A Prime Group, la société de production qu’a rejointe Patrick Poivre d’Arvor après son départ de TF1 en 2008, l’ancien présentateur bénéficie du même soutien. (...)
Les cadres et salarié·e·s de TF1 n’ont-ils pas su faire la différence entre drague et comportement inapproprié ? Plusieurs propos permettent de s’interroger. Questionné le 9 novembre sur Europe 1, Jean-Pierre Pernaut a expliqué qu’il n’avait, « pendant 20 ans », « pas eu connaissance de ces faits », avant de lâcher : « Je sais que PPDA était un homme un peu lourd avec les nanas. Elles s’en parlaient de temps en temps en riant. »
Certains propos d’anciens de TF1 montrent les préjugés qui imprègnent encore ces affaires dans la société : la confusion souvent faite entre relations consenties, séduction, drague et vie privée d’un côté, actes ou propos sexuels imposés de l’autre ; la vision du viol et des agressions sexuelles, qui se feraient forcément dans les cris, les coups, le bruit, et non dans le silence, la contrainte (morale ou économique) ; la sidération, alors même que plusieurs plaignantes relatent justement n’avoir « pas hurlé », et pour certaines même « pas bougé » ; l’idée qu’un homme séduisant ou puissant n’aurait pas besoin de contraindre pour obtenir des faveurs sexuelles. Ou le fait que les femmes dénonceraient souvent ces faits pour se faire de la publicité ou se venger. (...)