
(...) Bien sûr, nous assistons en ce moment (et ce blog y contribue de manière décisive) à l’effondrement des mythes fondateurs du capitalisme… mais le capitalisme n’est lui-même que l’avatar tardif d’un rapport au monde délirant.
L’agonie du capitalisme n’est que le symptôme d’un mal plus profond. Ce que nous vivons en réalité, c’est l’extinction d’un récit fondateur de l’espèce humaine toute entière, récit porté très haut par la civilisation occidentale. Non pas que cette civilisation soit promise à la destruction, au contraire… Elle est promise à la guérison, ce qui est bien pire.
Quel est ce mythe, ce récit fondateur ? C’est celui qui fait de l’Homme un héros, et de l’Homme de l’Ouest, singulièrement, son plus brillant héritier, porteur (tour à tour et selon les époques) de Salut, de Paix, de Progrès, de Culture, de Liberté, de Démocratie. Sans doute, toutes les civilisations ont développé un comportement de « colonisateur opportuniste ». Mais aucune n’a, comme l’Occident, masqué sa barbarie sous tant d’atours raffinés et fleuris : philosophiques, théologiques, juridiques, moraux ou, aujourd’hui, économiques. Et c’est ce refoulement de sa propre barbarie qui désormais n’est plus possible.
Osons regarder en face l’Homme Occidental véritable : c’est Néron, ému aux larmes en jouant suavement de la lyre, cependant que le monde incendié par ses soins brûle dans le lointain… Insouciante et délirante cruauté qui se transmettra à travers les âges… (...)
Voici l’évêque qui monte en chaire pour prêcher le massacre du Sauvage ou de l’Infidèle au nom du Christ… Voici l’économiste du FMI qui condamne à mort, d’une équation, des millions d’hommes, de femmes et d’enfants à travers le monde… Voici cette brave femme, passée par l’expérience de Stanley Milgram, qui vient d’assassiner son « élève » à coup de décharges électriques et se décrit comme hypersensible, incapable de faire du mal à une mouche. Et nous voici, vous et moi, capables de tout lors d’une simple panne d’électricité dans le métro.
Les discours et les mythes fondant le rôle bienfaisant de l’Homme de l’Ouest pouvaient résister à l’épreuve du Réel tant qu’il s’en allait piller d’autres terres, dévaster d’autres civilisations que la sienne, incendier d’autres lieux que sa propre maison… Lui-même pouvait croire que c’était « pour le bien de la Création ou pour la Marche du Monde » que les « Nègres » et les « Indiens » périssaient par millions. Mais ce temps-là est révolu… (...)
Tout se passe comme si la violence tapie sous nos évangiles sacrés ou profanes ne pouvait plus être dissimulée, même à nos propres yeux. Nos mythes et récits fondateurs ne peuvent plus être pris au sérieux par personne, surtout pas par nous-mêmes. Dès lors, la crise que nous vivons possède pour nous, Occidentaux, une dimension cruciale et largement sous-estimée : celle d’une crise identitaire gravissime, capable de conduire le malade au meurtre, au suicide ou à la folie. (...)
Que faire ? Par quoi passe la guérison ?
Précisément par un processus d’ELUCIDATION de ses noirs desseins, de ses fonctionnements obscurs et inavoués, sans aucune complaisance. Il s’agit de prendre la mesure de sa propre indignité, d’imposer le silence, comme disaient les Indiens, à sa langue fourchue. De voir de quels monstres nos Savoirs, nos Cultures et nos Idéologies ont accouché. Alors, quelque chose pourra être mis au jour, qui vaudra pour tous les hommes et nous rendra, enfin, une œuvre à accomplir, et du cœur à l’ouvrage. (...)