Une note interne signée par Les Z’Homnivores, association d’industriels de la viande soutenue par la région Bretagne, dépeint le journaliste Nicolas Legendre en militant de la « post-vérité » rattaché à l’« ultra-gauche », en « croisade personnelle [pour] la fin de l’agriculture et la production alimentaire en Bretagne ». Ce document que nous rendons public en intégralité traduit une volonté de nuire étrangère à l’exercice normal du débat démocratique.
Le 11 décembre 2018, le président de Région, Loig Chesnais-Girard inaugure un colloque organisé à l’École supérieure de commerce de Rennes. Pendant trois heures, les intervenants se succèdent pour rassurer les consommateurs tentés d’abandonner les produits carnés. L’évènement, soutenu par la région Bretagne dans le cadre de son programme Breizh Cop, est organisé par les Z’Homnivores, association-vitrine des industriels de la viande.
C’est ce même organe qui a rédigé la note intitulée « Pour Nicolas Legendre, peu importe la réalité pourvu qu’il y ait l’audience » (...)
Au fil des six pages, l’auteur anonyme égraine les prétendues motivations du journaliste dans son travail d’enquête sur le productivisme agricole breton.
Accusé d’avoir produit un « récit militant orienté et à charge », Nicolas Legendre chercherait à « se faire un nom dans les médias » tout en « voulant la fin de l’agriculture et de la production alimentaire en Bretagne ». Ce serait d’ailleurs le socle d’un « système Léraud », adepte de la « post-vérité » et rattaché aux idéologies « d’ultragauche ». La note affirme même que « le but non-avoué [de Nicolas Legendre est d’] initier une théorie du complot. »
Dans ce réquisitoire servi aux décideurs bretons, les déboulonnages de roues subis par Morgan Large deviennent des « faits d’armes », l’IUT de Lannion une école formant « une jeune génération de journalistes engagés » et Splann ! un moyen de poursuivre un « dessein complotiste ».
« C’est un grand classique », explique Patrick Eveno, historien des médias et ancien président du Conseil de déontologie journalistique et de médiation (CDJM). « Hormis la censure directe, il y a trois moyens de faire taire les journalistes : la pression économique avec les procès-bâillons, l’intimidation des sources et la décrédibilisation des journalistes et de leurs médias. » (...)
Derrière la dénomination enfantine de l’association Les Z’Homnivores se trouvent les principaux acteurs de l’industrie agroalimentaire bretonne, qui se sont unis pour répliquer aux associations antispécistes dont L214 (...)
Se présentant comme engagés dans une logique de « ré-information », expression forgée à l’extrême droite du spectre politique, Les Z’Homnivores semblent surtout dérangés par l’existence d’une presse qui revendique son rôle de contre-pouvoir. (...)
La motivation première de ses fondateurs est décrite sans fard. Il s’agit de « restaurer l’image de l’agriculture bretonne mise à mal par les médias, suite à la crise des algues vertes ». Et l’une de leurs premières actions consiste à rencontrer les directions des grands médias bretons, accusées de ne « pas toujours cadrer l’expression de leurs journalistes », pour leur « faire prendre conscience de la responsabilité qui leur incombe dans la stigmatisation des agriculteurs ». (...)
ces pressions nuisent à la liberté d’informer et d’être informé, consubstantielle à une démocratie digne de ce nom. Outre l’autocensure qu’elles impliquent, pour des journalistes ou des sources qui craignent une atteinte à leur réputation, elles perturbent la collecte de l’information.
Sept fois plus de communicants que de journalistes
Au cours de l’enquête de Splann ! sur Plouvorn, capitale française de la production porcine, une missive cosignée par les présidents de l’UGPVB et du Comité régional porcin est tombée dans la boîte mél de nombreux acteurs de la filière. Accolant l’épithète « militant » aux journalistes de Splann !, elle dissuade les éleveurs de répondre à leurs questions. Un procédé qui sape le contradictoire, l’un des piliers de la déontologie journalistique. Ce dont les communicants n’ont pas besoin de s’encombrer.
Il faut dire que dans la bataille entre information et communication, le rapport de force est faussé. Si le nombre de cartes de presse recule autour de 35.000 en France, la communication représenterait 155.000 emplois dans les entreprises et 115.000 dans des agences. (...)
Au printemps 2020, plus de 500 journalistes et professionnels des médias, bientôt rejoints par plus de 50.000 citoyennes et citoyens, avaient signé une lettre ouverte « pour la liberté d’informer sur l’agroalimentaire en Bretagne ». Le président de la région Bretagne s’était alors « engagé à participer au démantèlement de toutes les autocensures qui empêchent les journalistes de travailler sereinement » (...)