
"Selon le Code pénal, pour être caractérisée comme viol, une pénétration doit être commise par « violence, menace, contrainte ou surprise ». Une vision stéréotypée selon laquelle une femme est censée réagir qd elle est agressée. Si elle ne veut pas être violée, elle doit résister." pic.twitter.com/MSSe0mMceg
— Basta ! (@bastamedia_) May 23, 2022
En France, l’écrasante majorité des violences sexuelles restent impunies. Le caractère sexiste de nos lois y est pour beaucoup. Explications avec la juriste Catherine Le Magueresse, qui conseille à nos futur.es député.es de faire évoluer le droit.
Basta ! : Des accusations de violences sexuelles, révélées par Mediapart, ciblent le tout nouveau ministre des Solidarités Damien Abad. Une plainte contre lui a été classée « sans suite ». Au-delà de cette affaire, en France, en 2022, l’écrasante majorité des violeurs restent impunis. Pouvez-vous revenir sur les chiffres qui décrivent cette impunité ?
Catherine Le Magueresse : La règle, en France, pour les violeurs, c’est de ne pas être puni. 1 % des viols déclarés – à ne pas confondre avec le nombre de plaintes puisque seulement 10 % des victimes portent plainte – sont sanctionnés par un procès pénal aux Assises. Soit 1500 agresseurs majeurs et mineurs par an, quand les enquêtes de victimation nous parlent de plus de 100 000 viols et tentatives de viols par an. Autrement dit : 99 % des violeurs peuvent tabler sur leur impunité.
Notre ministre de la Justice, Eric Dupont-Moretti a affirmé qu’il ne voyait pas d’où venaient ces chiffres. Ce sont pourtant les chiffres d’Infostat, le service statistique du ministère. Ils sont tout à fait officiels. Cela signifie que notre ministre ne s’est jamais intéressé à la réalité des violences alors que c’est un contentieux massif ? C’est un peu comme si le ministre de l’économie ne s’intéressait pas à la dette. (...)
Il faut aussi rappeler le processus de sélection des plaintes : du dépôt de plainte à la condamnation, c’est comme si elles passaient dans un entonnoir. La première phase de « tri », ce sont les classements sans suite – plus de 70 % des plaintes sont classées sans suite en France. Et ce n’est pas forcément lié à une enquête sérieuse au cours de laquelle les policiers auraient entendu la victime, le mis en cause, organisé une confrontation avec l’agresseur présumé (avec l’accord de la plaignante), recherché la réitération et procédé à une enquête de voisinage.
Au contraire. Le scénario est plutôt le suivant : on entend la victime. Monsieur nie. Trop souvent l’enquête s’arrête là. Le procureur, qui décide de classer la plainte ou de poursuivre, se retrouve à prendre sa décision à partir d’un nombre d’éléments très faibles. (...)
C’est évidemment lié aux moyens indigents de la justice - et cette tribune des magistrat·es et personnel de la justice nous le rappelle -, mais aussi à l’absence de politique pénale volontariste sur cette question des violences sexuelles. Ces quatre dernières années, en pleine période post-#Metoo, seules deux circulaires du gouvernement ont été publiées sur le sujet, et deux sur les violences conjugales. Les procureurs ne sont donc pas incités à traiter ces plaintes en priorité et avec la diligence nécessaire. (...)
Seuls celles et ceux qui s’intéressent vraiment à ces questions prennent le temps de se former. Or ce sont les juges sexistes, qui ne savent pas qu’ils le sont, voire qui le nient qu’il faudrait atteindre. Le poids des stéréotypes que les magistrats ont intégrés est énorme. (...)
Selon le Code pénal , pour être caractérisée comme un viol, une pénétration doit être commise par « violence, menace, contrainte ou surprise » (VCMS). Jusqu’au 19e siècle, seul le viol accompagné d’autres violences est répréhensible. En 1857, la Cour de cassation ajoute la surprise et la contrainte. La menace apparaît en 1992 avec le nouveau Code pénal. Pour les juges, la violence « objective » le viol, permet de ne pas dépendre de la seule parole des femmes. Car, c’est bien connu, les femmes mentent. Il y a toujours de la défiance à leur encontre. (...)
Les notions de VCMS nous viennent d’une vision stéréotypée selon laquelle une femme est censée réagir quand elle est agressée. Si elle ne veut pas être violée, elle doit résister. Les VCMS doivent être de nature à vaincre la résistance d’une femme, résistance qui est censée être énergique et prolongée. Si elle capitule, c’est qu’elle est d’accord. Notons que pour les autres crimes et délits, on dit exactement l’inverse, en conseillant aux victimes de ne surtout pas résister ! C’est le cas, par exemple, lors des sensibilisations des collégiens sur le racket par des gendarmes et policiers. Même chose en cas de cambriolage : il est conseillé de tout laisser, et de sauver sa peau. (...)
Aujourd’hui encore la violence exercée par l’agresseur est le moyen caractérisant le crime de viol le mieux reconnu par la justice. Quand la violence laisse des traces visibles, cela correspond aux stéréotypes du « vrai viol ». Cette notion du « vrai viol » existe dans le monde judiciaire. A contrario, pour les fellations ou les viols digitaux, on parle de « petits viols ». Et ils vont généralement être jugés, quand ils le sont, par des tribunaux correctionnels, où sont normalement jugés les délits. (...)
D’après le droit, dites-vous, la preuve du refus des victimes, cela ne suffit pas. Est-ce que cela se passe encore réellement ainsi, dans les tribunaux, de nos jours ?
Hélas, oui. L’agresseur peut dire qu’elle a dit non, mais que en même temps, elle se laissait faire. Il n’a pas eu à user de « violence, menace, contrainte ou surprise » (VCMS), il n’est donc pas coupable. (...)
En l’absence d’un refus jugé « sérieux », l’agresseur est en droit de penser que l’autre est d’accord. Le droit pénal l’y autorise. Plus que les stratégies mises en place par l’agresseur, c’est le comportement de la victime qui se retrouve au cœur de la décision des juges. (...)
Des hommes ignorent délibérément les limites explicitement posées par les femmes ou les signaux d’alerte signifiant une absence de consentement tels que des pleurs ou une passivité qui devrait interroger. Et c’est validé par la justice. Quand elles disent non, parfois plusieurs fois et que cela a lieu quand même, les femmes sont sidérées. Elles ne peuvent croire que l’agresseur passe outre leur volonté et, contrairement à ce que l’on pense, elles ne sont pas nécessairement en capacité de réagir par la violence. « Je ne comprenais pas qu’il ne tienne pas compte de mon refus », disent les femmes. C’est un autre biais sexiste : le non des femmes n’en est pas vraiment un. C’est très prégnant. (...)
Les femmes n’apprennent pas à se défendre, ni physiquement, ni verbalement. Elles élaborent bien des stratégies, en étant hyper polies par exemple, ou en venant travailler en vêtements « neutres », considérés comme « non sexualisés ». Mais elles résistent rarement frontalement, car elles n’ont pas appris à le faire. Par ailleurs, leur absence de résistance est aussi liée à la peur de mourir, ou à celle d’énerver leur agresseur. Et ces peurs sont tout à fait légitimes car le risque de surcroît de violence est réel quand les agresseurs n’arrivent pas à leurs fins. Ce surcroît de violence sera certes reconnu et sanctionné par la justice. Mais faut-il donc vraiment en arriver là pour voir ses droits reconnus ? (...)
Plus les victimes sont en situation de précarité moins elles sont en mesure de résister, et plus elles sont contraintes de céder. Plus on est fragile, moins on va comprendre ce qu’il se passe (...)
Or, la jurisprudence n’est pas établie quant au fait qu’il y a nécessairement eu surprise, car les personnes ne comprennent pas ce qu’il est en train de se passer. Certaines cours considèrent même, comme les agresseurs, que les victimes ont peut-être consenti. On a par exemple le cas de ce père de famille qui viole sa voisine handicapée, du même âge que sa fille, et qui ose affirmer « je pensais que je lui rendais service ». Les enfants sont également concernés car point n’est besoin d’user de VCMS avec eux, il suffit de les agresser. (...)
L’interdit légal de relations sexuelles entre un adulte et un.e mineur.e de moins de 15 ans est évidemment une avancée. Toutefois les espoirs de changement ont été déçus en raison de cet amendement défendu par Éric Dupont-Moretti, le fameux amendement « Roméo et Juliette », censé « protéger les amours adolescentes » et qui introduit une exception de taille à l’interdit légal posé : il s’appliquera seulement pour les agresseurs majeurs et à condition qu’il y ait au moins cinq ans d’écart d’âge avec la victime. Résultat : une fille de 14 ans victime d’un jeune de 18 ans ne pourra jamais se prévaloir de la nouvelle définition du viol. (...)
Nous savons que 45 % des condamnés pour viol sur mineur de moins de 15 ans ont moins de 16 ans au moment des faits et 28 % ont 13 ans ou moins. De même, 34 % des auteurs condamnés pour viol en réunion ont moins de 16 ans au moment des faits contre 8 % de ceux condamnés pour des viols d’autres types. Nous sommes donc déjà confrontés à des violences sexuelles commises par des adolescents sur des adolescentes. Vont-ils cesser à 18 ans ou 19 ans ? L’inceste reste par ailleurs peu reconnu. Tout cela est effrayant. C’est un défaut de protection que l’État doit aux enfants de moins de 15 ans. (...)
Ajoutons que la manière de fabriquer le droit donne à réfléchir. La loi a été votée sans navette parlementaire, dans l’urgence. Les débats parlementaires ont été indignes. Heureusement quelques députés PS et LFI ont fait remonter le niveau mais sinon, c’était très pauvre. L’amendement Dupont-Moretti n’est pas motivé, ni sourcé. Les parlementaires s’en sont contentés avec ce seul : « Je ne suis pas le censeur des amours adolescentes. » Cela leur a suffi comme argument politique, moral. C’est affligeant. (...)
Il faudrait que le droit ne soit plus basé sur une présomption de consentement à une activité sexuelle, sachant que l’allégation de la croyance au consentement est la défense la plus utilisée par les agresseurs. Actuellement, les individus sont considérés comme consentants par défaut et ce jusqu’à preuve du contraire. (...)
L’approche libérale du consentement est un piège. Elle suppose que tout le monde a le pouvoir de dire oui ou non, sans prendre en considération les rapports de domination entre les personnes. Je lui préfère ce que l’on appelle le « consentement positif », celui qui évidemment tient compte du « non », mais qui s’assure en plus de la valeur du « oui ». Les pays qui parlent de consentement positif dans leur droit sont de plus en plus nombreux. La Suède a fait un travail remarquable de plusieurs années sur ce sujet et l’Espagne est en train de le faire. (...)
On ne découvre plus les violences sexuelles ; elles sont objets de recherche depuis plus de 50 ans. On sait ce qu’il faut faire pour en venir à bout. Nous avons un nombre de rapports incalculable, des feuilles de route pour toutes les professions. Faisons vivre tout ce travail. Engageons la responsabilité de l’État quand les victimes sont maltraitées par les institutions. Et changeons le droit. C’est l’arme des puissants. Il traduit le droit des dominants à organiser le monde. Il faut pouvoir le critiquer, le contester. Et le redéfinir.