
Giusi Nicolini, maire de l’île sicilienne depuis 2012, a reçu ce jeudi matin le neuvième prix Simone de Beauvoir, qui récompense depuis 2008 des combats pour la liberté des femmes dans le monde.
(...) À Paris, en simple tailleur pantalon noir et chemisier blanc, sa crinière blonde moins domptée que celles de l’assistance, elle s’est montrée pleine de cette spontanéité qui l’a plus d’une fois rendue célèbre. Par exemple, lorsqu’elle écrivit à Enrico Letta, alors président du conseil italien, après le naufrage d’octobre 2013 qui fit 366 morts au large de son île : « Venez compter les morts avec moi ! » Ou quand elle envoya une lettre à toutes les autorités du pays, en 2012, à peine élue, pour demander quelle superficie elle devait prévoir pour les travaux d’agrandissement du cimetière de Lampedusa. Ou encore quand elle cria, en sanglots, à la télévision, sa honte pour l’Europe devant les centaines de morts échoués sur le sable italien.
Née sur cette île plus proche de la Tunisie que de la Sicile, Giusi Nicolini en a été maire adjoint dès ses 23 ans. Ecologiste convaincue, elle lutta contre la spéculation immobilière et pour la protection de l’environnement, reçut des menaces de mort, ne plia jamais. Elue maire en 2012, elle fait, depuis, face à l’afflux de migrants. Avec les 6 000 habitants de son île, Giusi Nicolini enterre les morts et accueille les survivants.
Ovationnée par une salle franco-italienne debout, elle a dit son « honneur d’avoir été choisie pour ce prix, qui représente une grande responsabilité ». « A Lampedusa, lieu petit et lointain mais si central géopolitiquement, on expérimente chaque jour cette vérité : les droits humains sont ceux de tous ou de personne. Les droits de ces hommes, femmes, enfants en fuite, desespérés au point de risquer leur vie, sont étroitement liés aux nôtres. » (...)
« Nous avons appris que les politiques de fermeture et de rejet provoquent toujours plus de souffrance, et mettent en danger notre propre survie, notre sérénité, notre bonheur. C’est vrai à Lampedusa comme à Calais, Kos ou Lesbos. (…) Je veux que mon île redevienne un pont entre deux continents, et non plus une prison à ciel ouvert. » Le visage grave et la voix forte, Giusi Nicolini prévient : « Les débarquements continueront, jusqu’à ce que changent les politiques d’asile. Il faut le faire, et il faut le faire vite : en 2015 le nombre de morts a doublé par rapport à 2014, et parmi les plus de 3200 victimes de l’année dernière, 700 étaient des enfants. »
“Je refuse d’agrandir encore le cimetière de mon île”
Dénonçant les « livraisons d’armes aux pays en guerre », l’arrêt de l’opération Mare Nostrum décidée par le gouvernement Letta après le naufrage d’octobre 2013, et remplacée par la moins ambitieuse Triton, ainsi que l’érection de nouveaux murs en Europe de l’est, la maire de Lampedusa – surnommée « la lionne » dans son pays –, affirme que « tout cela ne nous protège pas du terrorisme et ne stoppera pas les mouvements migratoires, qui sont depuis toujours la meilleure stratégie de survie pour les deséspérés de l’humanité. Cela aussi, on l’apprend à Lampedusa. »
Ecœurée par « l’immense hypocrisie de l’Europe », elle a rappelé l’inefficacité du plan de répartition des réfugiés qui, non seulement est très insuffisant, mais n’est pas même mis en œuvre (...)