Que pensez-vous du dernier accord entre la Grèce et ses créanciers ?
D’abord il n’est pas encore certain qu’il va y avoir un accord – plusieurs parlements doivent approuver la participation de leur pays à un sauvetage via le MES. Et même s’ils se mettent d’accord, il est impossible que ça fonctionne. L’aspect économique du programme, c’est de la folie pure.
(...) cet accord n’est qu’un avant-goût de ce qui nous attend. Le Protocole d’accord comprendra des mesures d’austérité bien plus dures que celles qui sont actuellement sur la table, pour compenser la chute du PIB résultant de l’affrontement avec les créanciers. Le problème est que ces Protocoles utilisent la dette pour transformer la Grèce en colonie : ils créent un ensemble de règles qui vont obliger le gouvernement, au fur et à mesure qu’il n’arrive pas à atteindre ses objectifs budgétaires – ce qui est couru d’avance –, à couper toujours davantage, entraînant la poursuite de la chute du PIB, et donc davantage d’austérité, et ainsi de suite. C’est un cercle vicieux sans fin.
Un des problèmes clefs de la situation est que les institutions s’obstinent à fixer des objectifs budgétaires sans tenir compte des analyses de soutenabilité de la dette. La logique d’un allègement de la dette, c’est de vous permettre d’atteindre des objectifs budgétaires moins élevés et de répartir dans le temps l’impact de la consolidation budgétaire. Mais en Grèce, même s’il y avait allègement dans les proportions suggérées (ce qui est peu probable), le pays devrait quand même mettre en place une consolidation massive, en plus de ce qui a déjà été réalisé.
Enfin maintenant il est question d’allègement de la dette…
Oui, c’est une bonne chose. Mais les créanciers savent depuis le début ce que le FMI vient seulement d’admettre : la Grèce est insolvable et sa dette est insoutenable. La dernière analyse du FMI est très claire, mais des analyses antérieures disaient à peu près la même chose : la dette grecque est fondamentalement insoutenable. Mais les Européens ne l’ont jamais accepté, (...)
Il s’agit de faire un exemple du traitement de SYRIZA pour le reste de l’Europe. Tout ce qui s’est passé ces derniers mois n’était qu’une façon de dire aux peuples d’Europe : ‘Regardez, il ne faut pas voter pour des partis qui ont ce genre d’ambition parce que nous vous écraserons. Voilà ce qui arrive quand on ne respecte pas les règles et qu’on refuse de payer l’addition. Soit vous vous pliez à l’austérité ou vous êtes éjectés’. Tsipras l’a dit clairement – il a signé l’accord le couteau sur la gorge. C’était l’argument de Schäuble pour le Grexit : si les Grecs ne veulent pas payer, nous les éjectons, les regardons souffrir, et puis nous utilisons ça comme catalyseur pour faire peur aux autres pays. (...)
Pensez-vous qu’il aurait été préférable de s’en tenir à la stratégie de Varoufakis, un allègement de dette ou rien ?
En toute honnêteté, il est difficile de voir comment les choses auraient pu aller autrement. Les Grecs n’avaient ni réserves financiers ni pouvoir. Les seules armes qu’ils amenaient à la table de négociation étaient la raison, la logique et la solidarité européenne. Mais apparemment nous vivons dans une Europe où aucun de ces termes n’a de signification.
Donc les deux stratégies – celle de Varoufakis et celle de Tsipras’ – étaient vouées à l’échec ?
Oui, c’était un piège. Chaque fois que les institutions européennes ont du faire face à l’opposition d’un gouvernement national, pour le ramener dans le rang, elles ont eu recours à la menace – augmenter les taux d’intérêt des obligations d’état, fermer les banques, etc. Et par le passé, ça avait toujours fonctionné : les gouvernements avaient cédé. Et ils se disaient que ce serait la même chose avec SYRIZA. Mais la Grèce n’a pas cédé. C’est pour ça que les institutions ont réagi d’une façon aussi vicieuse. (...)
Pensez-vous que la Grèce doive sortir de l’euro ?
J’ai toujours été oppose au Grexit – comme Varoufakis. Mais aujourd’hui, suite au dernier ‘plan de sauvetage’, la Grèce est dans une situation où le coût de rester dans l’euro est tel qu’il est possible d’affirmer qu’il est encore préférable de sortir – et d’affronter tous les coûts à court terme de cette sortie – plutôt que de rester en devant renoncer à sa souveraineté sans possibilité de redressement économique. Je crois que Tsipras a décidé qu’il est préférable que la Grèce reste dans l’euro quel qu’en soit le prix. Et c’est une décision respectable. Mais si vous tenez compte de la logique économique et de tout ce qui s’est passé, vous devez bien conclure que la Grèce n’a pas d’avenir dans l’euro.
C’est accord ne fait que différer l’inévitable. Il est clair à ce stade qu’il n’y a aucune volonté politique au sein de la zone euro de trouver des solutions aux problèmes structurels de la monnaie unique. C’est d’ailleurs ce qu’implique la dernière analyse en date du FMI quand on y lit en gros : soit vous procédez à une remise de dette soit vous établissez un système de transferts pour la Grèce – en d’autres termes, vous créez une Europe fédérale. Nous savons tous que c’est là le péché originel de l’euro : un monnaie commune sans système de transfert. Mais ils ne veulent pas changer. Alors autant accepter que ça ne fonctionne pas. Ça ne devrait plus être un tabou en Europe après ce qui est arrive en Grèce.
Et que fait Varoufakis ?
Il a voté non au parlement le 15 juillet, donc il semblerait que de facto il se positionne à la gauche de Tsipras, ce qui pourrait bien se traduire en une véritable alternative politique. À suivre !