
Le 24 octobre dernier, le Téléthon a signé son grand retour aux États-Unis. Au micro et aux manettes, l’humoriste Kevin Hart est venu combler le départ de l’indéboulonnable Jerry Lewis. L’acteur américain, décédé en 2017, a présenté le célèbre événement caritatif pendant pratiquement un demi-siècle, avant d’arrêter en 2011. Visiblement indissociable de son présentateur vedette, l’émission a été déprogrammée trois ans plus tard.
Après six années d’absence, le retour du Téléthon version Kevin Hart divise. Pour ses soutiens, cette récolte d’argent est un indispensable levier pour faire avancer la recherche. Pour ses détracteurs, cette exposition médiatique fait plus de mal que de bien aux personnes en situation de handicap. Au pays du Medicare, la critique a longtemps été portée par des « enfants posters », surnom donné aux jeunes handicapé·es que l’événement met en avant.
Pour s’opposer à cette œuvre caritative, Mike Ervin, un de ces « enfants posters », monte même l’association Jerry’s Orphans [Les Orphelins de Jerry] avec sa femme et sa sœur en 1990. Jusqu’à l’arrêt du show de Jerry Lewis, Mike et son association n’auront de cesse de dénoncer ce qu’ils estiment être un « festival de la pitié ».
Outre-Atlantique, ce rejet n’est pas neuf. Ce qui l’est davantage, c’est qu’il s’est exporté. En France également, le débat s’ouvre et les tweets #EndTheTelethon se multiplient. « Aux États-Unis et en Angleterre, ça fait quarante ans que la vision validiste, c’est-à-dire le fait que les valides soient la norme de nos sociétés, pose problème », fait valoir Lény Marques, porte-parole du Collectif luttes et handicaps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE). Et le Téléthon, c’est un rouage de plus dans la machine validiste. »
L’organisateur de l’événement, l’Association française contre les myopathies (AFM), sait qu’une grogne, encore restreinte, est en train de monter. (...)
Pour Lény Marques, comme pour les autres opposants à cette grand-messe télévisuelle, l’événement n’aide pas la cause des personnes en situation de handicap. « On montre une communauté entière à travers son aspect médical, dénonce-t-il. Ce qu’on reproche, c’est de créer en trois jours une image délétère pour le reste de l’année. Il n’y a aucune représentation des personnes handicapées à la télévision, donc c’est pratiquement le seul moment où nous sommes médiatisées. »
Cette médiatisation repose sur des manières de raconter le handicap et des choix d’exposition auxquels n’adhèrent pas les détracteurs de l’émission. Aux États-Unis comme en France, l’enfant est, par exemple, une figure centrale. Les adversaires de l’opération voient dans cette mise en avant un appât commercial pour inciter aux dons.
« On montre beaucoup de jeunes très mignons et pas trop les vieux baveux, pointe Odile Maurin de Handi-Social, association d’entraide et de défense des droits des personnes en situation de handicap ou de maladies invalidantes. Le Téléthon explique sans arrêt que nos vies sont horribles sans dénoncer les retards et reculs sur l’accessibilité et le manque de moyens de compensation des handicaps. On refuse ce misérabilisme qui nous assimile à des objets de soins et de charité, alors que l’ONU dit que nous devons être des sujets de droit. Plutôt que miser sur une hypothétique guérison ou un retour à la norme, adaptons la société à tous dans le respect de l’égale dignité des êtres humains. »
À l’opposé de cette corde sensible, le Téléthon repose également, selon Lény Marques, sur l’inspiration porn, c’est-à-dire une représentation mettant en avant une personne en situation de handicap pour en faire une source d’inspiration. « Qu’on dise : “regardez le pauvre, faut l’aider” ou “regardez comment il est fort”, il s’agit des deux facettes de la même pièce validiste. Comment voulez-vous qu’on s’en sorte ? »
D’après Julia Tabath, cette critique n’est pas recevable : « Les reportages du Téléthon montrent des enfants et des adultes dans leur vie, on les voit dans leur quotidien. L’objectif est de collecter des fonds pour la recherche médicale, donc c’est normal de présenter cette situation. L’émission expose une réalité : nous sommes malades, je suis moi-même atteinte d’une maladie évolutive et potentiellement mortelle. Il n’est pas question d’y être réduit, mais le nier ne permet pas d’avancer. Nous n’avons pas honte de la façon dont nous parlons de nos vies. »
Misérabilisme et désintérêt politique (...)
Odile Maurin confesse elle aussi avoir « mis du temps à comprendre que l’AFM donne bonne conscience aux donateurs au détriment de la nécessaire critique de nos conditions de vie ».
Tout comme la lutte contre les discriminations envers les personnes handicapées, le financement de la recherche sur les maladies génétiques rares semble un objet de consensus. Les déclarations d’intention des responsables politiques de tous bords donnent même l’impression d’une union transpartisane. Problème : pour les militant·es anti-validistes, ce volontarisme peu suivi de mesures sociales fait passer le handicap pour un sujet apolitique. (...)
Ce type de collecte permettrait aussi aux gouvernant·es de se reposer sur le monde associatif plutôt que de mettre en place une politique engagée de lutte contre les discriminations envers les personnes en situation de handicap. Et donc, d’une certaine façon, de ne pas s’attaquer réellement aux problématiques sociales. (...)
« C’est faux et le Téléthon est avant tout un combat mené par des familles et personnes concernées », répond Julia Tabath, pour qui la loi sur l’égalité des chances de 2005 impliquant un droit à compensation des conséquences du handicap est le fruit du travail de l’AFM et d’autres structures.
L’administratrice de l’Association française contre les myopathies fait valoir l’influence de son association auprès des politiques grâce à « un lobbying pour améliorer la politique sociale ». Si elle assure ne pas prendre ce mouvement de contestation à la légère, elle souhaite que la gestion de ces différends n’aboutisse pas, à terme, à la fin du Téléthon (...)