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Qui sauvera les migrants du cimetière de la Méditerranée ?
Article mis en ligne le 5 décembre 2014
dernière modification le 29 novembre 2014

En laissant tomber Mare Nostrum, l’Europe tourne le dos à la plus grande opération humanitaire lancée en Méditerranée, qui a permis de secourir plus de 150 000 personnes. Avec Triton, la priorité redevient le contrôle des frontières. Reportage.

Pendant plus d’un an, l’Italie est allée secourir les migrants en Méditerranée et a cherché en vain la solidarité de l’Union européenne.

Celle-ci a répondu avec le lancement de Triton, une opération centrée sur la surveillance des frontières et la lutte contre les trafiquants.

Placé sous l’égide de Frontex, Triton voit jusqu’à présent la participation de quinze pays européens, dont la Suisse, pour un budget mensuel de 2,9 millions d’euros, soit un tiers de moins que l’opération italienne Mare Nostrum. Depuis le 1er novembre, la recherche et le sauvetage ne sont plus la priorité. (...)

Cité à vocation touristique, Pozzallo est devenue l’un des principaux points de débarquement depuis le lancement de l’opération Mare Nostrum. Un phénomène qui a donné lieu à des mouvements de solidarité, mais aussi à quelques réactions d’intolérance. (...)

Lancée en octobre 2013, après le naufrage de 368 personnes au large de Lampedusa, l’opération Mare Nostrum a permis de secourir plus de 150 000 migrants et d’arrêter 500 passeurs.

Le choix du gouvernement d’alors – le gouvernement Letta – n’a cependant pas été sans conséquences. En un an, l’Italie a dépensé 112 millions d’euros pour Mare Nostrum, soit 9,5 millions par mois. En vertu du traité de Dublin, elle aurait également dû assumer la responsabilité et les coûts pour l’accueil de ces personnes.

Depuis longtemps incapable de faire face à l’urgence migratoire, l’Italie s’est retrouvée confrontée à une augmentation significative du nombre d’arrivées : de 60 000 en 2013 à 165 000 à la fin octobre 2014.

L’Italie a ainsi omis de les enregistrer systématiquement dans la banque de données Eurodac, suscitant l’ire de certains pays européens, au premier rang desquels la Suisse. Sans la prise des empreintes digitales, preuve d’un premier passage en Italie, les migrants ne peuvent en effet pas y être renvoyés.

Le soutien à Mare Nostrum est allé en diminuant, surtout au sein de l’UE. Divers politiciens sont convaincus que l’opération italienne a représenté une incitation, alimentant de fait le trafic des migrants. (...)

L’UE a aussi sa part de responsabilité dans l’augmentation du nombre de débarquements, souligne Denise Graf, juriste et experte de l’asile auprès de la section suisse d’Amnesty International. Elle dénonce :

« L’Europe a construit une forteresse autour d’elle : il y a un mur en Grèce, un en Bulgarie, un à Ceuta et Melilla. Des frontières qui vont s’ajouter à celle désormais imperméable entre Israël et l’Egypte.

Les Etats européens, dont la Suisse, ont en plus restreint au maximum le droit au regroupement familial et la possibilité de demander asile légalement auprès des ambassades. Le seul chemin, pour ceux qui cherchent asile en Europe, c’est le chemin illégal de la Méditerranée. »

Ces derniers mois, le nombre de naufragés en mer a recommencé à augmenter, et ce malgré Mare Nostrum. Il y a plus de 3 000 morts recensés en 2014 par le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), dont plus de 2 700 depuis le début juin.

La situation en mer pourrait s’aggraver (...)

Les organisations humanitaires internationales – dont le HCR – déplorent le manque de volonté des Etats européens de prévenir les morts en Méditerranée à travers une politique plus coordonnée et avec une vision davantage à long terme.

Denise Graf, d’Amnesty International, déplore :

« L’UE ne peut pas simplement fermer les yeux et faire semblant qu’il n’y a pas de naufrages. »

Il est certain qu’une opération comme celle de Mare Nostrum n’est pas gérable à long terme et, dans un certain sens, elle est le symbole d’une politique européenne pour le moins boîteuse. « C’est un serpent qui se mord la queue », (...)

« Le système actuel contraint pratiquement les migrants à aller en mer, au péril de leur vie. Et puis nous allons les sauver. Alors ne les obligeons pas à aller en mer ! »

Depuis quelques jours, le calme est revenu à Pozzallo et le compte Twitter de la Marine italienne a cessé de diffuser quotidiennement le nombre de débarquements.

De l’autre côté du détroit de Sicile, des dizaines de milliers de migrants attendent toujours de rejoindre l’Europe. Ce n’est pas la fin de Mare Nostrum qui mettra un terme à leur rêve et à leur désespoir.