
Les techniques pour faire face au manque d’eau dans le monde existeraient, selon un rapport de l’ONU. Mais ces « promesses » ignorent souvent les enjeux fondamentaux de l’eau, estiment plusieurs chercheurs.
L’eau est là, il suffit de se servir. C’est en substance le message de l’ouvrage onusien sur les ressources d’eau non conventionnelles, publié aux éditions Springer fin mai. (...)
En 300 pages, la somme fait l’état des connaissances d’une dizaine de ressources en eau non conventionnelles. C’est-à-dire autres que les cours d’eau, les nappes phréatiques ou les précipitations. Chaque chapitre est consacré à une ressource et aux technologies disponibles pour l’exploiter : déclencher des pluies par l’ensemencement des nuages en iodure d’argent, capter l’humidité grâce à des filets, désaliniser l’eau de mer, réutiliser les eaux grises, exploiter l’eau des icebergs, etc. Un inventaire à la Prévert qui amalgame des techniques disparates. (...)
« L’ouvrage ne fait aucune hiérarchie entre ces techniques, s’étonne Thierry Lebel, hydroclimatologue, directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement de Grenoble. (...)
Un avis partagé par Pierre-Louis Mayaux, chercheur en science politique dans le laboratoire mixte de recherche G-EAU : « Cette agglomération permet de produire l’idée de ressources en eau inépuisables. Plus largement, le rapport présente des technologies qui illustrent jusqu’à la caricature des solutions miracles. » (...)
À l’instar de la désalinisation de l’eau de mer. Considérer les océans comme une ressource inépuisable d’eau, vraiment ? « La désalinisation de l’eau de mer est une aberration énergétique. L’article n’aborde les limites qu’en matière de coût économique, mais pas d’empreinte carbone », explique Thierry Lebel, alors que les principaux États qui utilisent la désalinisation de manière massive sont aujourd’hui les pays pétroliers du Golfe. (...)
Moins connue, l’exploitation des nappes d’eau douce sous-marine permet à l’ouvrage de faire miroiter « de vastes quantités d’eaux souterraines » grâce à « de nouvelles méthodes géophysiques marines permettant désormais de cartographier et quantifier les eaux souterraines offshore à faible salinité ». « Malgré les risques de contamination de nappes par de l’eau salée, l’utilisation de l’eau douce du large par les mégapoles côtières peut représenter une source d’eau importante pour les résidents côtiers », estime Manzoor Qadir.
Concernant la réutilisation des eaux usées, « la promesse de nouvelles ressources abondantes ne correspond pas — là encore — à la réalité », souligne Pierre-Louis Mayaux, spécialiste du sujet au Cirad (...)
Et d’aborder un autre problème de ce texte : « Cet ouvrage joue sur l’urgence pour mettre en place des solutions techniques et ne laisse aucune place au débat démocratique. »
« Démesure scientiste et techniciste »
Tout n’est pas à jeter dans le rapport. « Certaines de ces technologies font partie des réponses, comme restaurer des savoir-faire dans des régions où l’ingénierie de l’eau a été perdue. Mais aucune n’est une solution à la demande massive en eau mondiale », insiste Thierry Lebel. Un constat partagé par Pierre-Louis Mayaux, qui s’inquiète de la « démesure scientiste et techniciste » de ce rapport. (...)
Une vision onusienne que d’aucuns qualifient d’obsolète à l’ère anthropocène qui appelle à plus de précaution, de mesure et de démocratie.