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Reporterre
S’habiller écolo ? Pas sur Vinted
Article mis en ligne le 10 août 2020

(...) Vinted ? C’est la friperie en ligne qui fait fureur en France, où elle s’est lancée en 2013. Très simple d’utilisation, elle permet en quelques clics de dégotter et de vendre des vêtements en sommeil dans nos armoires. Chaque seconde, 2,2 articles en moyenne (vêtements, accessoires…) changent de main sur l’application lituanienne. Onze millions de Français et de Françaises en sont membres et 2,8 millions la consultent quotidiennement. « Sur Vinted, tu vends ce que tu ne portes plus et tu déniches des pièces canons » présente la plateforme, qui se donne pour mission de « faire de la seconde main le premier choix dans le monde ». (...)

« On se retrouve vite avec des pièces dont on n’a pas vraiment besoin »

« Le succès de Vinted montre au moins l’intérêt des consommateurs pour le marché de la seconde main et l’allongement de la durée de vie des produits », estime Sihem Dekhili, chercheuse en marketing à l’université de Strasbourg. Les chiffres le confirment : 40 % des Français ont acheté un vêtement d’occasion en 2019, et la moitié a eu recours à Vinted. Aux yeux de Sihem Dekhili, Vinted permet aussi de résoudre un problème « d’ordre social » : « Pour des personnes aux revenus limités, qui ne peuvent accéder à certains produits vendus à des prix exorbitants sur le marché du neuf, ce marché permet d’éviter l’exclusion et d’accéder à des produits auparavant inaccessibles. »

Néanmoins, pour Sihem Dekhili comme pour les différentes vinties - chercheuses ou activistes interrogées par Reporterre dans le cadre de cet article -, Vinted est loin d’être la panacée pour lutter contre la fast fashion — le renouvellement effréné des vêtements neufs proposés à la vente.

Au contraire, « Vinted encourage la rotation rapide de modèles, en grande partie issus de la fast fashion, en conférant du pouvoir d’achat aux consommateurs, qui revendent facilement des produits pour en racheter d’autres », estime Alma Dufour, chargée de campagne extraction et surconsommation chez les Amis de la Terre France. (...)

« Le geste d’achat est super simple et on se retrouve très vite avec des pièces dont on n’a pas vraiment besoin ou qui ne nous vont finalement pas. » Et si elle venait à oublier Vinted, son téléphone lui en rappelle quotidiennement l’existence (...)

Vinted a fait partie des plateformes recensées par l’ONG Zero Waste France à l’occasion du défi Rien de neuf, dédié à explorer les solutions de substitution à l’achat de produits neufs : emprunt, location, occasion, réparation. « Nous avions identifié cette plateforme comme un outil efficace pour nous passer des circuits classiques de distribution et éviter la fast fashion », explique Flore Berlingen, directrice de l’ONG Zero Waste France. Mais Flore Berlingen a vite déchanté : « Par son interface, Vinted pousse les utilisateurs à être dans l’achat compulsif et c’est éminemment contradictoire avec l’enjeu écologique, qui impose avant tout de se poser la question : “Est-ce qu’on en a vraiment besoin” ? »
« Quand j’ai un moment de libre, que je ne sais pas quoi faire, je “joue” à Vinted » (...)

"Vinted pousse à l’achat et la vente frénétique sans respect de la matière, de façon totalement dématérialisée et inonde les utilisateurs de publicité. C’est l’Amazon du vêtement de seconde main. " (...)

Pour Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif Éthique sur l’étiquette, « au lieu d’enrayer le système créé par la fast fashion de consommation et de renouvellement perpétuel de collections, Vinted l’accentue en permettant de vider ses placards et de les remplir à la même vitesse », empêchant « toute réflexion sur les besoins réels. »

Les représentants de Vinted assurent, de leur côté, que la « majeure partie » de l’argent récolté n’est pas réinvesti dans la fast fashion et tourne en « circuit fermé » en étant « réinjecté dans l’achat de seconde main sur la plateforme » via un « principe du porte-monnaie » (l’argent gagné sur Vinted est stocké sur l’application pour de futurs achats).

Élodie Juge, ingénieure recherche pour la chair Trend(s), à l’université de Lille, analyse depuis 2013 le comportement des pratiquantes les plus assidues de Vinted. Ses travaux montrent que le développement de Vinted a entraîné une quasi-professionnalisation de certaines utilisatrices, qu’elle appelle des « conso-marchandes ». (...)

« Ce sont des petites soldates de la société de consommation, formées à bien vendre avec des techniques dignes de professionnelles, à travers des promotions, des offres personnelles, des photos prises dans des studios » (...)

« Au départ, je pensais que ces femmes avaient une conscience écologique et souhaitaient principalement allonger la durée des vêtements, mais j’ai vite déchanté, explique Élodie Juge. C’est le cadet de leurs soucis : j’en suis à plus de 20 heures d’enregistrement, presque 200 pages de retranscription, et je n’ai qu’une dizaine de lignes sur la dimension écologique. Au mieux, c’est une façon de se donner bonne conscience. »

« C’est toujours plus de vêtements, mais aussi toujours plus de kilomètres de transport » (...)