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le Monde Diplomatique
Utopies dévoyées
Mona Chollet
Article mis en ligne le 20 novembre 2010
dernière modification le 18 novembre 2010

« Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde », clamait il y a quelques mois la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France, sous le coup d’une menace d’expulsion de ses locaux parisiens. Le slogan résonne bien au-delà de ce cas particulier. Jean-Paul Dollé postule que ce n’est pas un hasard si la crise des subprime a touché le « produit maison », l’habitat, c’est-à-dire « la forme la plus élémentaire d’exister en propre et de se situer dans le monde (1) ». L’expulsion, si elle n’est pas toujours aussi littérale que celle des petits propriétaires américains, est bien à l’œuvre partout.

Dès la fin du XIXe siècle, les grandes villes ont vidé les centres de leurs artisans et ouvriers, remplaçant, comme l’écrivait Henri Lefebvre, « une centralité productive par un centre de décision et de services » (lire page 20). Aujourd’hui, elles relèguent de plus en plus loin des pauvres dont la définition semble s’élargir sans cesse. Elles éradiquent tous les petits dispositifs et les stratégies de subsistance qui permettaient de tenir contre le darwinisme social. Elles privilégient les parcours voués à la consommation, tout en manifestant une nostalgie de l’authenticité et de l’animation urbaines qui multiplie les décors factices.

La ségrégation — chacun cherchant à fuir plus nécessiteux que lui — est sans conteste la tendance dominante en ce début de millénaire. (...)

Le fantasme ultime semble ne pas être simplement de s’isoler du reste du monde, mais de recréer le monde ex nihilo, en niant l’existence même de tout ce qu’il y a autour. (...)

On peut se faire la guerre pour l’eau ; se faire la guerre pour l’oxygène promet déjà d’être plus compliqué. Cette contagion de la sphère où ils évoluent par l’univers commun que les riches veulent à tout prix éviter, la biosphère pourrait bien se charger de l’opérer, rappelant à tous cette vérité cruelle : il n’y a qu’un seul monde.