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K. la revue
Israël-Palestine : Deux États et plus si affinités
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 2 juin 2025
dernière modification le 1er juin 2025

Alors que la situation à Gaza s’aggrave et que le débat politique israélien se radicalise toujours plus, tout projet de solution au conflit israélo-palestinien semble décalé. Pourtant, nombreux sont ceux qui préparent l’avenir. Un projet politique, A Land for All – Two States, One Homeland mérite une attention particulière. Il propose deux États souverains liés par une confédération, reconnaissant chacun les légitimités nationales de l’autre, et organisant la coexistence sur toute la terre disputée. Dans un contexte marqué par l’impasse militaire, la fatigue démocratique et la montée des lectures antisionistes en Europe, y compris de ce projet, que penser d’une telle construction utopique ?

Lors de notre voyage de reportages en Israël, en mai 2024, nous avons rencontré de nombreuses personnes, toutes impressionnantes par leur vitalité, leur esprit de résistance et leur imagination pour assurer l’avenir de leur pays. Deux d’entre elles, Meron Rapoport, juif israélien, et Rula Hardal, palestinienne israélienne, défendent un projet politique singulier, qui tranche avec les options qui dominent en général le débat public : « A Land for All – Two States, One Homeland »[1].

Longtemps, il nous a semblé que le caractère utopique du projet « A Land for All » le rendait peu audible dans la situation saturée par la guerre, mais aussi par les luttes internes pour sauver l’État de droit et la démocratie en Israël – luttes antigouvernementales qui avaient précédé la guerre et qui se poursuivent depuis en parallèle. Notre crainte était qu’au milieu du conflit armé et des déchirements provoqués dans l’opinion en conséquence du 7 octobre, ainsi que par le tour pris par la riposte israélienne au fil des mois, la parole de nos interlocuteurs ne soit étouffée ou, pire, qu’elle en ressorte déformée, voire récupérée à des fins de propagande antisioniste dans un contexte européen où cette vague n’a cessé de grandir, devenant une véritable déferlante.

Mais le temps des atermoiements nous semble révolu, au moment où la composante sioniste religieuse d’extrême droite du gouvernement et son Premier ministre s’engagent dans le projet d’occupation de Gaza (...)

Nous voilà donc plongés dans une catastrophe sans fond. Or, précisément, dans ces temps où aucune issue ne se dessine, un projet utopique a pour vertu de rappeler qu’il faudra bien un jour s’acheminer vers un règlement équitable du conflit, même si la société israélienne, depuis le 7 octobre, n’a jamais été aussi loin d’entrevoir une telle possibilité.

C’est dans ce contexte que nous avons décidé de présenter aux lecteurs de K. le projet « A Land for All », à travers la voix de Meron Rapoport, cofondateur du mouvement qui, donnant suite à nos discussions avec lui et Rula Hardal en mai 2024 a bien voulu nous accorder un entretien un an après. Ce projet a récemment fait parler de lui dans la presse française. Un grand nombre d’intellectuels, Européens et Américains notamment, ont lancé un appel à l’Union européenne pour qu’elle le soutienne et en fasse sa position officielle. Mais la brève présentation qui était donnée du projet ne permet pas d’en mesurer exactement la nature et les implications, et encore moins d’identifier les écueils qu’il faudrait surmonter pour que sa réalisation soit possible. Or, cette tâche est indispensable. (...)

« A Land for All » propose exactement cela : reconnaître fermement que le conflit entre Israéliens et Palestiniens est un conflit national qui ne saura être résolu que par le maintien d’Israël comme État juif souverain dans les frontières de 1967 et la création d’un État palestinien souverain à ses côtés. (...)

Bref, la question de la conscience nationale aiguisée, en aucun cas atténuée ou amputée, mais approfondie et explicitée par chacune des deux parties, voilà le nouveau chemin qu’on s’efforce ici d’ouvrir. Et c’est aussi, il faut le souligner, ce qui situe ce projet à l’opposé de l’hypothèse binationale et de l’abolition d’une souveraineté juive qui définissent aujourd’hui une large part des positions antisionistes (...)

Mais il ne s’agit pas non plus d’une solution à deux États telle que nous la connaissons. Ou plus exactement, pour reprendre encore les termes de Rula Hardal, il s’agit d’une solution à « deux-États-plus » (« a two-states-plus vision »). Quel est donc ce plus ? (...)

Sur le plan pratique, il se laisse d’abord décrire en termes de liberté conquise pour tous, sur toute l’étendue de la Palestine mandataire. L’idée est que, dès lors qu’un État palestinien sera créé sous la forme d’un État de droit démocratique, respectant les droits humains universels tels qu’énoncés par le droit international – égalité, liberté, respect des minorités, sacralité de la vie humaine –, il pourra entrer avec Israël (qui déjà répond à ces critères depuis sa fondation, même si sa marge de progression en la matière reste patente, et s’agrandit de jour en jour en ce moment sous la pression du pouvoir d’extrême droite) dans une confédération de deux États-nations souverains, inspirée du modèle de l’Union européenne, et de la gestion de frontières ouvertes, des possibilités de déplacement et de résidence offertes à tous ses ressortissants. Cette confédération garantirait ainsi une relation fluide entre deux États ; elle disposerait également d’institutions communes notamment en matière de politique monétaire (rappelons que le shekel est déjà le moyen de paiement en Israël comme dans les territoires occupés et à Gaza), sociale et sécuritaire. La coopération économique, le partage de ressources et de biens communs primaires – tout particulièrement le partage de l’eau -, mais aussi des droits sociaux, à commencer par la santé, de même que la protection civile sur les deux territoires également, voilà ce qui formerait un socle d’expérience commun entretenu et consolidé, pour une population globale répartie en deux groupes, aux citoyennetés, et donc aux droits politiques et à la capacité d’influer sur les orientations de leur propre État, entièrement distincts.

Ce socle commun se fonde sur la réunification confédérale d’un espace, qui compte également, quoi que de manière différente, pour les deux parties. Car compter également ne veut pas dire compter identiquement. C’est la rigueur et l’intelligence de cette vision politique que de nous rappeler cette vérité politique primordiale. « Également » veut dire, « avec la même légitimité ». Mais cette légitimité égale est aussi, lorsqu’on entre dans le contenu des expériences, ce qui différencie les acteurs en présence, en vertu du sens que chacun met dans le fait d’appartenir à cette terre prise dans son intégralité. L’originalité du projet consiste ainsi à prendre en compte deux attachements, également justes, mais dotés de significations spécifiques, à la totalité de l’espace de la Palestine mandataire. Ces attachements, il s’agit de les honorer et de les reconnaître de part et d’autre et pratiquement, tout en maintenant les deux entités de la confédération politiquement distinctes. Ainsi, les citoyens de l’État palestinien circuleront librement en Israël et seront libres de s’installer sur les terres de leurs ancêtres – sans pour autant devenir citoyens israéliens, donc sans pouvoir participer aux décisions souveraines de l’État juif. Symétriquement, les colons israéliens actuellement installés dans les territoires occupés pourraient y rester en tant que citoyens israéliens vivant sur le territoire souverain palestinien, sans pouvoir, eux non plus, influer sur la politique de cet État. (...)

Ce qui unit également et tout aussi objectivement les deux peuples, c’est précisément ce qui les a généralement divisés et conduits aux affrontements armés, à savoir leur attachement égal quoique non identique à cette terre. Cet attachement, c’est un fait, a disposé les deux parties comme des ennemis se livrant des guerres meurtrières. Il l’a fait d’autant plus, souligne Rula Hardal, qu’il a été surdéterminé religieusement. Or, nous confie-t-elle, « le problème est avant tout entre deux groupes nationaux ». Revenir à cette réalité, ce n’est pas confondre abruptement les positions, mais c’est rétablir l’espace où elles peuvent s’articuler : celle d’une appartenance politique différente à ce lieu qui est bel et bien le même lieu. (...)