
En 2004, la possibilité pour un juge d’ordonner aux fournisseurs d’accès à Internet d’empêcher l’accès à un site web était inscrite dans la loi Loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique (LCEN). C’était la première étape d’une série de lois de censure qui ne s’est plus arrêtée depuis. En 2011, avec l’adoption de la loi LOPPSI, la censure de sites Internet se passe d’un juge et devient administrative. Une liste de domaines à bloquer est alors établie par la police.
Et aujourd’hui, où en sommes-nous ? Une fois le principe de censure de sites web accepté pour des raisons de lutte contre la pédocriminalité, la censure administrative s’est étoffée avec la lutte contre le terrorisme ou les jeux en ligne pendant que la censure judiciaire s’ouvrait petit à petit à un filtrage pour cause de propriété intellectuelle, puis de streaming illégal de compétitions sportives.
Pour beaucoup de français·e·s, il est devenu relativement courant de tomber sur un site inaccessible et les tutos pour passer outre ces blocages sont devenus communs sur Internet. Pourtant, nous trouvons que ce sujet ne fait plus assez débat au sein de notre société, malgré les dérives possibles, connues et documentées de ce filtrage. La question ne semble plus être si la censure est acceptable, ni si les méthodes employées sont légitimes et proportionnées. L’absence de transparence du processus de censure mené par la police ne fait plus débat.
Selon nous, cette prolifération de la censure crée un risque majeur d’escalade du contrôle d’Internet par le gouvernement. (...)
À travers ce site web, nous avons voulu relancer un débat sur ce sujet. Tout d’abord en expliquant le plus clairement possible les bases légales de la censure de sites en France, mais également en mettant en avant des cas qui soulèvent des questions cruciales (abus, légitimité, utilité, etc). Enfin, parce que la technique c’est quand même fun, nous sommes allés voir d’un peu plus près comment cette censure est mise en place en France (loin de nous l’idée de vous donner des pistes pour aller voir vos films préférés en streaming).
Lire aussi :
– (La Quadrature du Net)
Ministère de l’Intérieur contre Indymedia : une censure absurde et choquante
Jeudi dernier, le ministère de l’Intérieur a enjoint les sites participatifs Indymedia Nantes et Indymedia Grenoble de procéder au retrait d’un communiqué anonyme revendiquant l’incendie d’un hangar de gendarmerie à Grenoble. D’après le ministère, une telle publication serait constitutive d’un acte de provocation au terrorisme. Les deux instances d’Indymedia se sont exécutées en retirant le contenu litigieux, faute de quoi, elles auraient été ajoutées à la liste noire des sites censurés sur décision administrative et fait l’objet d’un blocage par les grands fournisseurs d’accès à Internet. Le communiqué litigieux a également été relayé sur des sites de grands médias traditionnels sans que ces derniers ne soient inquiétés.
Cette censure policière est aussi absurde que choquante. Absurde car le texte revendicatif visé reste bien évidemment largement accessible, y compris au travers de grands sites médias, et que cette censure est forcément de nature à lui donner une plus grande visibilité. Choquante parce que cette décision de censure, autorisée dans le cadre de la loi antiterroriste de novembre 2014, illustre à elle seule les dangers associés à l’arsenal de la lutte contre le terrorisme, que le gouvernement peut manier à l’envie pour cibler des groupes militants ou, comme en l’espèce, des sites participatifs.
Bien que validé par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État,Les associations La Quadrature du Net, FDN et Fédération FDN se sont vues débouter en février 2016 par le Conseil d’État dans le cadre d’un recours contre le décret d’application de cette disposition. (...)
Après la censure d’un site Indymedia en Allemagne le mois dernier, après le blocage de sites indépendantistes en Catalogne la semaine passée, cette nouvelle remise en cause de la liberté d’expression sur Internet s’inscrit dans une tendance plus large qui apparaît extrêmement préoccupante.
Comme l’écrivait dès 1976 la Cour européenne des droits de l’Homme, la liberté d’expression « vaut non seulement pour les informations ou les idées accueillies avec faveur », mais également « pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population ». La Quadrature appelle la Commission européenne et le Conseil de l’Europe à condamner ces opérations de police qui sapent la protection due à la liberté d’expression.