Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
le Café Pédagogique
Quand Gustave Monod a dit Non
#resistance #EducatioNationale #Vihy #GustaveMonod
Article mis en ligne le 2 juillet 2024
dernière modification le 1er juillet 2024

Dans cette tribune, Laurence De Cock fait appel à l’Histoire sa spécialité pour évoquer l’impact de l’arrivée du Rassemblement National au pouvoir. En 1940, Georges Ripert demandait aux recteurs de recenser les fonctionnaires juifs exerçants sous leur autorité. « Combien furent-ils dans cette haute administration de l’Éducation nationale à affirmer franchement leur opposition au statut des juifs ? » Gustave Monod fut le seul. Et si rien ne bouge, ce n’est pas par adhésion à la ligne, c’est parce que le « saut est couteux, il isole et parfois met en danger », écrit l’historienne. Combien seront-ils demain ?

Le 3 octobre 1940, le régime de Vichy adopte officiellement une loi sur « le statut des Juifs » qui instaure un antisémitisme d’État. La poignée de main symbolique à Montoire entre Pétain et Hitler n’a pas encore eu lieu, la collaboration officielle n’a pas commencé. Cette loi n’est donc pas une commande nazie, elle est une décision française. Les Juifs sont exclus de la fonction publique, de l’État, de l’armée, de l’enseignement et de la presse.

Le 21 octobre, le secrétaire d’État à l’instruction publique et à la jeunesse, Georges Ripert, écrit aux Recteurs et Inspecteurs d’académie :

« En exécution de ces prescriptions de la loi, vous voudrez bien, pour le personnel placé sous votre autorité, faire l’état général des fonctionnaires, hommes et femmes, qui, de notoriété publique (sic) ou à votre connaissance personnelle, doivent être, aux termes de l’article 1, regardés comme juifs ».

La langue administrative a l’art de s’accommoder du pire en l’enrobant de mots froids. Pour faire plus simple, disons que le gouvernement de Vichy appelle à constituer des listes de juifs pour pouvoir les révoquer.

Parmi les destinataires de cette circulaire, il y a Gustave Monod qui, à 55 ans, a déjà une longue carrière derrière lui. Enseignant de philosophie d’abord, puis Inspecteur d’académie de Paris, il a travaillé notamment avec Jean Zay, ministre de l’Éducation nationale du Front populaire. Il a aussi une longue carrière d’engagement intellectuel, principalement pour des droits humains et contre le fascisme montant puisqu’il est membre du comité de vigilance des intellectuels antifascistes, constitué pour faire front aux ligues fascistes des années 1930.

Dans la foulée, Monod réunit les chefs d’établissements parisiens pour transmettre l’information. Il en fait un rapport au Recteur en notant « l’atmosphère d’émotion grave et douloureuse »de la réunion et confie pour terminer « Je dois à la vérité de dire, Monsieur le Recteur, que je n’ai pas été un bon avocat de la cause administrative et que, bien loin de pouvoir la défendre j’ai été obligé de m’associer sinon en paroles, du moins dans le secret de ma pensée, à toutes les réserves formulées« . Il tente même d’argumenter plus froidement : les Juifs ne représentant que 3% du corps enseignant à Paris, ils ne peuvent pas faire de mal …

Mais rien n’y fait. Monod est convoqué par Ripert qui le tance et le soupçonne même d’être juif. La sanction est rapide (mais assez légère). Il est démis de ses fonctions d’Inspecteur d’académie et rétrogradé comme professeur de philosophie de lycée. Très peu de temps après, il prend une retraite anticipée et rejoint le réseau résistant du « Musée de l’homme ».

Dire Non

Combien furent-ils dans cette haute administration de l’Éducation nationale à affirmer franchement leur opposition au statut des juifs ? Il fut le seul. (...)

Cette histoire pose une importante question : comment s’opère le choix de dire non à un ordre qui émane de l’institution que l’on s’est juré de servir ?

Il est toujours facile et rassurant a posteriori de s’imaginer dans le camp des résistantes et résistants de la première heure. Mais la bascule est très rarement immédiate. Elle est toujours précédée de la conviction qu’on pourra agir de l’intérieur, désobéir gentiment avec la caution des pairs (...)

La révolte de conscience est rare, mais on la sent rôder depuis quelque temps. Un exemple, un seul. Jusqu’ici on savait que la mécanique du système éducatif français triait les élèves socialement, mais on se positionnait comme un grain de sable dans la machine. Or, depuis la mise en place des groupes de niveau, le sable se transforme en huile de moteur. Nous ne sommes plus des agents pour empêcher, mais pour nourrir et officialiser le tri. La conscience prend cher.

Servir, obéir, trahir

Il y a des questions insolubles réactivées par le présent (...) Car, disons-le franchement, quelle que soit l’issue des urnes, un bon tiers de la population est prête à voter pour un programme affirmant que certains enfants ont plus le droit à l’éducation que d’autres et que tout cela repose sur leur couleur de peau, leur patronyme et leur pays d’origine. On sait aussi que, dans le même programme, les enseignants seront « contrôlés » plus fréquemment par les cadres pour s’assurer que les consignes seront bien appliquées. (...)

On entre au service de l’État pour servir et obéir, pas pour trahir. Ça c’est la petite musique qu’ils entendront. Ils appellent ça « la loyauté ». Les profs en mangent depuis longtemps des injonctions à la loyauté. Certain.e.s militant.e.s syndicalistes en savent quelque-chose qui ont déjà subi des sanctions pour défaut de loyauté.

Mais la loyauté peut-elle dépendre de la nature des injonctions ? Assurément. Car le service public repose sur des valeurs et principes consolidés d’ailleurs par le régime qui nous a sortis de la poisse de Vichy : l’égalité, la solidarité, la justice sociale. (...)