
En une semaine, 630 Palestiniens ont été tués dans l’enclave, sous des bombardements ou en tentant d’accéder à de l’aide humanitaire. Dans l’attente d’un cessez-le-feu que Donald Trump souhaiterait conclure entre l’État hébreu et le Hamas, la population survit dans à peine 15 % du territoire.
Depuis son exil aux États-Unis, le poète gazaoui Mosab Abu Toha tient une chronique documentée de la guerre génocidaire que subit son peuple, publiant chaque jour des images insoutenables sur les réseaux sociaux. Le 2 juillet, sur X, il les a accompagnées d’un mot d’excuse adressé aux sien·nes.
« Chaque jour, écrit-il, j’ai l’impression de déshumaniser [les membres de] mon propre peuple lorsque je partage des vidéos et des photos d’eux : brûlés au point d’être méconnaissables, leurs corps déchiquetés, déchirés en morceaux ou en deux, décapités, amputés. Je les expose dans leurs moments les plus brutaux et les plus indignes, espérant que le monde se décidera enfin à agir. Mais cela n’a jamais été le cas. Et j’ai l’impression que cela ne se produira jamais, pas de notre vivant. »
Depuis le 7-Octobre, plus de 57 000 Palestinien·nes ont été tué·es à Gaza, selon les chiffres du ministère de la santé local. Ces données sont jugées fiables par l’ONU. Elles sont probablement sous-estimées : des milliers de corps sont encore prisonniers des décombres. Le 16 mai dernier, l’armée israélienne a lancé une nouvelle opération militaire, baptisée « Chariots de Gédéon », intensifiant son offensive dans l’enclave palestinienne. « Cette nuit, on a tué près de cent personnes de Gaza et tout le monde s’en fiche », se vantait le député suprémaciste juif israélien Zvi Succot à la télévision israélienne le même jour. (...)
Rien que sur cette dernière semaine, du 25 juin au 2 juillet, au moins 630 Palestinien·nes ont été tué·es – soit près de 90 morts par jour. L’un des bombardements les plus meurtriers a touché le café Al-Baqa, dans la ville de Gaza, le lundi 30 juin.
L’établissement, ouvert sur les vagues de la Méditerranée, est un lieu prisé. C’est aussi un refuge pour les journalistes du coin : la connexion internet y est plutôt stable, ce qui est rare dans l’enclave. Vers 14 h 30, le café est plein. Des dizaines de clients sont attablés. Des rédacteurs, des artistes, des entrepreneurs locaux et « des gens qui fêtaient leur anniversaire, tous plutôt jeunes », raconte à Mediapart le gérant, Yaqoub al-Baqa. « Tout était calme. » La zone n’était pas sous ordre d’évacuation de l’armée israélienne et il n’y a eu aucun avertissement avant le bombardement.
Possible crime de guerre (...)
Le photojournaliste Ismaïl Abou Hatab, 34 ans, a été tué, ainsi que l’artiste Amina, connue sous le nom de Frans al-Salmi. Les deux étaient amis. La dernière publication de la jeune femme sur Instagram était un dessin d’Abou Hatab, publié le 13 mai dernier. Une autre journaliste, Bayan Abusultan, a émergé des ruines du café, photographiée le visage ensanglanté et les cheveux ébouriffés. Depuis le 7-Octobre, selon le Comité pour la protection des journalistes, au moins 177 journalistes, travailleurs et travailleuses des médias palestiniens ont été tué·es. (...)
Grâce à un cliché des restes du missile qui s’est abattu sur le café, pris par la photographe palestinienne Enas Tantesh, le journal britannique The Guardian a identifié une bombe MK-82 de 230 kilos, fabriquée aux États-Unis, qui génère une explosion massive. (...)
Succession de tueries
Un massacre en chasse un autre. Le 27 juin, en début de soirée, un bombardement israélien avait déjà enseveli une dizaine de tentes dans un immense cratère, à l’est de la ville de Gaza – 14 Palestinien·nes sont morts, dont une famille de dix personnes. Le 29 juin, au moins 17 Gazaoui·es, dont douze membres d’une même famille, ont été tué·es et des dizaines d’autres blessé·es dans un bombardement à Jabaliya, dans le nord de Gaza. Le 1er juillet, 23 personnes de la famille Abu Samra ont été tuées dans un bombardement dans le sud de la ville de Gaza. (...)
Le 2 juillet, le directeur de l’hôpital indonésien, le docteur Marwan al-Sultan, a été tué avec plusieurs membres de sa famille, chez lui. Il était l’un des deux derniers cardiologues encore présents dans le nord de l’enclave, et son hôpital avait été la cible d’une attaque israélienne mi-mai. Une école a aussi été bombardée le 3 juillet dans le nord de Gaza – la défense civile palestinienne a annoncé 15 morts.
Quand la mort ne tombe pas du ciel, elle fauche celles et ceux qui tentent de récupérer un peu de nourriture. Depuis le 27 mai et l’ouverture de points de distribution d’aide de l’obscure officine baptisée la Gaza Humanitarian Foundation (GHF), 652 Palestinien·nes ont été tué·es à proximité de ses centres et plus de 4 500 autres blessé·es. Israël veut remplacer l’ONU et les ONG internationales dans la gestion de la distribution de la nourriture à Gaza – officiellement pour empêcher que l’aide soit récupérée par le Hamas. (...)
« Un champ de la mort »
Le 27 mai, le quotidien israélien Haaretz a publié des témoignages de soldats israéliens dans l’enclave, confirmant les accusations des Palestiniens depuis des semaines. L’armée israélienne avait admis des tirs de sommation aux alentours des centres de distribution de la GHF. Les militaires qui se sont confiés au journal israélien disent avoir reçu l’ordre de tirer sur une foule désarmée, ce que nie fermement le porte-parole de l’armée contacté par Mediapart.
« C’est un champ de la mort, rapporte ainsi un des soldats dans le quotidien israélien. Là où j’étais stationné, entre une et cinq personnes étaient tuées chaque jour. Ils sont traités comme une force ennemie – [on n’utilise] pas de mesures de contrôle de foule, pas de gaz lacrymogène, juste des tirs à balles réelles avec tout ce qu’on peut imaginer : mitrailleuses lourdes, lance-grenades, mortiers. Ensuite, une fois que le centre ouvre, les tirs s’arrêtent, et [les Palestiniens] savent qu’ils peuvent s’approcher. Notre moyen de communication, c’est de tirer. » L’armée a indiqué à Mediapart analyser les « incidents ». Selon elle, « les accusations de tirs délibérés sur des civils mentionnées dans l’article ne sont pas corroborées sur le terrain ».
Les militaires ne sont apparemment pas les seuls à tirer sur la foule palestinienne. Les agents chargés de la sécurité des sites de la GHF sont souvent peu qualifiés, « lourdement armés, et semblaient avoir carte blanche pour faire ce qu’ils voulaient », laissent entendre deux contractuels américains qui se sont confiés à l’agence de presse Associated Press. (...)
« Peu importe qui tire, balaie Bushra Khalidi, de l’ONG Oxfam. Ce nouveau mécanisme a créé un chaos complet. » Quand l’aide n’est pas distribuée via ce système militarisé qui est en réalité un piège mortel, elle est récupérée par des civils affamés et des groupes armés, sans forcément atteindre celles et ceux qui en ont le plus besoin. Les bénéficiaires palestinien·nes sont humilié·es, forcé·es d’emprunter des routes désignées comme zones militaires dangereuses, de nuit, pour tenter de mettre la main sur un kilo de farine et de sucre. Les agents de sécurité et les militaires les traitent comme de potentielles menaces.
L’ONU et les ONG internationales savent pourtant faire : à Gaza, l’Unrwa dispose de quelque quatre cents points de distribution (contre quatre pour la GHF). Le 26 juin, le Programme alimentaire mondial (PAM), avec des organisations locales, a donné de la farine – l’opération s’est déroulée sans heurts. Le 2 juillet, 215 ONG ont signé une pétition exigeant la fin du siège de l’enclave et la restauration du système d’aide coordonné par l’ONU.
Les Gazaoui·es qui survivent sont coincé·es dans un espace toujours plus exigu. Selon l’Ocha, plus de 714 000 personnes, soit un tiers de la population, ont été déplacées de force depuis la reprise des bombardements israéliens le 18 mars dernier. Rien qu’entre le 25 juin et le 2 juillet, l’armée a émis trois ordres de déplacement pour des parties de Khan Younès, dans le sud, Deir el-Balah au centre, et le nord de Gaza, couvrant 14,4 kilomètres carrés. (...)
Aujourd’hui, 85 % de la bande de Gaza est inaccessible aux Palestinien·nes, soit parce qu’il s’agit d’une zone militaire israélienne, soit parce que la zone est sous le coup d’un ordre de déplacement de l’armée.
Les Gazaoui·es sont à nouveau tendu·es vers l’espoir qu’un accord de cessez-le-feu soit trouvé. (...)