
La librairie parisienne Violette and Co, institution lesbienne, féministe et LGBT, a vu sa devanture attaquée à l’acide, avant une vague de cyberharcèlement et d’intimidations. Une mécanique de haine attisée sur X et amplifiée par les médias de Vincent Bolloré.
(...) L’ouvrage pour enfants From the River to the Sea, illustré par le Sud-Africain Nathi Ngubane, a depuis été retiré de la devanture, « parce qu’on a peur », confie-t-elle. Le titre From the River to the Sea, slogan phare des mobilisations propalestiniennes, façonné par les premiers manifestes de l’Organisation de libération de la Palestine dès les années 1960, avant d’être brandi par le Hamas au tournant des années 1990, est décrit comme un appel à la destruction d’Israël par ses contempteurs, qui le jugent antisémite. « Ce qui choque c’est ce titre, comme le livre était en vitrine il y a plein d’interprétations autour. Pour nous, il s’agit d’un slogan extrêmement populaire en signe de solidarité avec la Palestine », insiste Loïse.
Quelques captures de l’intérieur du cahier de dessin ont aussi fait bondir la droite et l’extrême droite, d’abord sur les réseaux sociaux, puis dans les médias de Vincent Bolloré. Sur la page de gauche, des fresques de grandes figures palestiniennes et antiracistes, inspirées du street-art. À droite, des encarts racontent « l’occupation », l’histoire du keffieh, distillent des récits sur « les martyrs » ou racontent « l’Intifada », « avec une mise en avant des liens historiques entre l’Afrique du Sud et la Palestine, avec cette idée de solidarité internationale », précise Loïse, qui défend « un livre avec une approche décoloniale ». (...)
« Tout à l’heure, on l’a caché. Une femme est venue pour vérifier qu’on le vendait. Elle a dit qu’elle nous souhaitait qu’on aille à Gaza. Là, à midi. Une dame d’une soixantaine d’années, précise-t-elle. On est dans un contexte où l’extrême droite attaque de plus en plus les librairies. Où on se demande si on ne va pas se poser à deux fois la question de ce qu’on met en vitrine. »
Tags, cyberhacèlement et visite d’intimidation
L’équipe de la librairie a choisi de communiquer sur les violences subies seulement le 11 août, sur son compte Instagram, plus d’un mois après les premières dégradations. Le 8 août, l’équipe avait tout bonnement « renoncé à ouvrir ». « On a eu plein de commentaires sous nos posts Instagram, Facebook, des messages en privé aussi, des mails, des appels et des menaces de mort, des menaces de détruire la librairie, d’y mettre le feu », liste Loïse. (...)
Sur place, les tags malveillants de début juillet ont été suivis d’une visite le 6 août « par un groupe de cinq femmes », selon Loïse, qui était seule à gérer le lieu à ce moment-là. Elle décrit un groupe « venu intimider ». Les visiteuses auraient qualifié le manuel de « propagande du Hamas ». « Elles me disaient qu’en Palestine, à sa création en 1947, il n’y avait rien, juste un désert et des chèvres, qu’il n’y avait pas de Palestiniens, que des Arabes. Des choses horribles. Tout ça sur un ton véhément. » La visite aurait duré « dix, quinze minutes », selon elle. « Je leur ai dit : “Vous vous rendez compte que là, vous êtes plus choquées par un livre de coloriage que par un génocide ?” » Loïse s’effondre en larmes après l’altercation « dans un lieu où [elle] travaille tous les jours, où des personnes peuvent à nouveau faire ça ».
Autour d’elle, les habitué·es s’insurgent. (...)
Attablée à quelques mètres, Florence Bussolari est une cliente historique de Violette and Co depuis 2004. « Ça m’a choquée, effarée, mais pas complètement surprise », confie cette retraitée affable au sourire généreux. Cette habitante des Hauts-de-Seine se plaît à transmettre des pans du passé lesbien, pour bâtir « une histoire transgénérationnelle ». La retraitée rappelle l’attaque homophobe de la librairie nantaise Les Vagues en mai dernier (...)
Les LR de Paris soufflent sur les braises de X
Les attaques contre Violette and Co se sont déployées selon un cycle désormais classique de polémiques attisées sur des comptes X militants et savamment relayées par des médias de la Bollosphère. Une première série de tweets d’un « décrypteur du Net », activiste pro-Israélien hyperactif, est vue plus de 346 000 fois. Il qualifie d’emblée l’ouvrage de « propagande du Hamas ».
Une élue LR du XIe arrondissement, Nelly Garnier, ancienne directrice de campagne de Rachida Dati, embraye et accuse la librairie de recevoir 17 500 euros de subventions de la mairie de Paris, suivie par Aurélien Véron, élu LR au conseil de Paris. « C’est une information fausse, parce qu’on est un commerce. On ne peut pas recevoir de subvention en tant que tel. Ici, il y a deux lieux qui cohabitent : la librairie et le café, qui est une coopérative, et l’association, qui s’appelle Violette and Co Association. » Selon le document, consulté par Mediapart, c’est bien cette association, organisatrice des ateliers culturels du lieu, qui bénéficie du financement de la municipalité.
Europe 1, Le JDD et CNews s’emparent ensuite de l’affaire (...)
Parties de X, les accusations reviennent sur la plateforme de Musk après leur passage par CNews et les autres médias de l’écurie Bolloré. (...)
Le post de l’équipe de Violette and Co sur Instagram a avivé de nombreux soutiens. « Je suis très contente que des gens soient venus nombreux acheter des livres. Moi j’en ai pris deux. Bon, un pas du tout sérieux, mais ce n’est pas grave », dit Florence Bussolari. Mohammed, gérant du restaurant à côté, enjoint à ses voisines d’agir en justice : « On est inquiets, je suis inquiet. Je suis à côté, si les filles ont besoin, on est là. Mais il faut porter plainte. »
Les cogérant·es indiquent préparer une plainte. Depuis le 11 août, la librairie a reçu le soutien public de plusieurs élus, dont ceux de Jean-Luc Romero-Michel, adjoint à la maire de Paris en charge de la lutte contre les discriminations, de Ian Brossat, sénateur PCF ou encore des élus EELV du XIe arrondissement. « On a eu aussi le soutien du Syndicat de la librairie et d’individus, d’associations. Ça a beaucoup tourné. C’était aussi pour montrer à nos harceleurs qu’il y a des conséquences, qu’on ne se laisse pas faire, qu’on répliquera et qu’on a une grosse communauté derrière nous. On ne baissera pas la nuque, prévient la copatronne, on va dire qu’on est combatives. »