
Il y a de quoi être consterné. Bruxelles cède aux exigences léonines de D. Trump : claironnée sur tous les tons, « l’autonomie stratégique européenne » vient de voler en éclats, dévoilant à la fois une vacuité géostratégique, le refus idéologique de restreindre nos dépendances extérieures et, par ricochet, la faiblesse d’E. Macron et de la France à Bruxelles.
Le 10 avril dernier, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait affirmé « vouloir donner une chance aux négociations ». Moins de quatre mois plus tard, le verdict est sans appel : l’UE ne s’est donné aucune chance de résister au diktat de D. Trump, préférant céder plutôt que livrer bataille, capituler plutôt qu’ouvrir une voie alternative, accepter l’inacceptable plutôt que réduire nos dépendances extérieures et construire une véritable autonomie stratégique et politique. (...)
Voici quelques premiers commentaires :
1. Un « accord » léonin, brutal et asymétrique
S’il n’y a pas d’accord proprement dit à ce stade mais une déclaration politique aux fondements juridiques faibles côté européen - cf. ci-dessous - les termes de cet « accord politique » sont connus : des droits de douane de 15 % avec quelques exceptions (aéronautique, spiritueux, médicaments), dont une sur l’acier et l’aluminium taxés à 50 %, un marché européen qui doit s’ouvrir davantage aux produits US (y compris agricoles), un engagement de 600 Mds de $ d’investissements sur le sol US, l’achat de 750 Mds $ de gaz fossile US sur les 3 prochaines années, ainsi que l’acquisition d’une « grande quantité d’équipements militaires [américains] ».
En contrepartie de quoi ? De la promesse de l’UE de ne pas engager de rétorsions commerciales. C’est un accord totalement asymétrique, au seul bénéfice politique de D. Trump. Pour le justifier, U. Von der Leyen et les défenseurs de cet accord affirment que c’est en échange de la « stabilité », de l’absence de « guerre commerciale » et de la possibilité laissée aux entreprises UE de continuer à exporter sur le sol US : de quelle « stabilité » parle-t-on quand les droits de douane sont multipliés par 7 en 6 moisi, et quand il n’y a aucune garantie que D. Trump, fort de ce premier succès politique, ne revienne rapidement à la charge ?
2. Le prix de notre dépendance aux exportations
Pour ne pas fermer le marché US aux entreprises multinationales européennes, Ursula Von der Leyen accepte, en notre nom, nous les 450 millions d’Européennes et Européens, de financer au prix cher les choix économiques de D. Trump, à savoir réduire les impôts des plus riches américains et rapatrier sur le sol US des activités économiques et industrielles. (...)
Il faut rappeler ici que, loin de l’image que l’on s’en fait habituellement, l’économie étasunienne est moins dépendante des marchés mondiaux pour son approvisionnement et ses débouchés que d’autres régions du monde. (...)
En revanche, notre dépendance économique - et énergétique - aux exportations nous coûte cher : pour que LVMH et Volkswagen continuent à exporter aux US, l’UE va de fait devoir s’acquitter d’une taxe exorbitante qui va peser sur l’économie européenne. Le refus de la Commission européenne et de nombreux états européens, obsédés par leur compétitivité extérieure, de profiter de l’occasion pour réduire notre exposition aux marchés mondiaux est économiquement et politiquement coûteux à court terme, mais aussi à long terme : nombreuses sont les entreprises qui seront ainsi financièrement incitées à localiser leurs activités directement aux US.
Sur le sol européen, plus grande encore sera la pression pour « renforcer la compétitivité européenne afin de continuer à gagner des parts de marché » (propos du ministre du commerce extérieur français), soit la recette appliquée depuis des années au sein de l’UE : comprimer la demande interne et substituer à l’Etat-Providence classique un Etat-Providence pour les entreprises privées (...)
Tout cela pour que quelques (très grandes) entreprises continuent à exporter aux US.
3. Un espoir vain : une nouvelle ère, pas une parenthèse
La Commission européennes et de nombreux Etats européens font comme si l’élection de D. Trump n’était qu’un mauvais moment et qu’il fallait laisser la tempête passer pour envisager un « retour à la normale ». Ainsi, depuis des mois, Bruxelles cède devant Trump, tant sur la taxation des GAFAM que sur l’impôt minimum mondial dont les multinationales US ont été exonérées avec l’assentiment européen. Il ne faut pas braquer « Trump » ont-ils dit pour tempérer les velléités de rétorsions commerciales et enterrer toute possibilité de construction d’un rapport de force. C’est manifestement une stratégie économiquement et politiquement perdante.
Dans le contenu même de ces négociations, les dirigeants européens ont refusé de mener bataille et ont laissé D. Trump définir les termes du débat (...)
dans son propre communiqué, U. Von der Leyen n’affirme-t-elle pas que les imports de puces américaines « aideront les États-Unis à maintenir leur avance technologique » ?
De plus, il n’y aura pas de retour à la normale. « L’âge d’or de la mondialisation », période où les échanges croissaient plus vite que la production, n’est plus. A l’heure où Donald Trump a décidé, au nom de la « sécurité nationale », de s’affirmer comme seule super-puissance internationale désireuse de redéfinir les règles et les contours de la mondialisation à l’avantage de l’économie UE, tout retour en arrière paraît impossible. Nul ne sait si la Maison Blanche parviendra à ses fins, mais les contours de la mondialisation ont définitivement changé. Seul Bruxelles pense le contraire, refusant d’envisager une voie alternative.
4. Une victoire politique pour les extrêmes-droites (...)
Mais, plus grave, c’est aussi une victoire politique pour les extrêmes-droites en Europe : alors que Bruxelles disait que l’accord US-Royaume-Uni (10 % de droits de douanes) était un mauvais accord et que l’UE en obtiendrait un bien meilleur, les dirigeants européens vont devoir ramer pour en faire la démonstration.
Quand tous les discours sur l’autonomie stratégique européenne, l’Europe puissance, la réindustrialisation européenne s’effondrent comme un château de cartes au premier souffle, il fait peu de doutes que ce n’est pas la construction européenne, pas plus que les gauches, qui devraient tirer profit d’une telle reddition : capituler face à Trump pour sauver, quoiqu’il en coûte, les parts de marché de quelques multinationales européennes, plutôt que se servir du « bazooka commercial » faussement agité par la Commission européenne, c’est en fait faire le lit des extrêmes-droites européennes qui ont désormais un boulevard pour dénoncer la capitulation européenne et ériger D. Trump en exemple à suivre. Sur fond d’impuissance européenne, voilà un cauchemar qui devient réalité.
5. Un accord qui saborde la politique climatique européenne (...)
renoncer à réduire nos importations globales de gaz, et à remplacer une dépendance par un autre ;
entériner qu’il faille continuer à investir des dizaines de milliards d’euros dans des infrastructures permettant de réceptionner du GNL dans les ports européens ;
confier à Washington une part de la politique énergétique européenne, comme nous l’avons fait auparavant avec Moscou ;
s’asseoir sur la politique climatique européenne alors qu’il faudrait drastiquement réduire nos besoins en énergies fossiles ;
6. « Un accord hors-la loi » ?
Ce point est peu commenté. A ce stade, l’accord n’est qu’une vague communication orale de D. Trump et U. Von der Leyen. Il n’y a pas de texte d’accord, encore moins les prémices d’un traité international. A ce stade, cet « accord » n’a pas d’existence légale. Pire, à l’échelle européenne, la Commission européenne n’a pas de mandat en bonne et due forme pour négocier avec les Etats-Unis (...)
La France, dont le Premier-Ministre critique aujourd’hui la déclaration d’U. Von der Leyen, a laissé la Commission négocier sans mandat, sans base légale. Rappelons ici que 80 % des Européens, dont 83% des Français, réclament des rétorsions commerciales envers les Etats-Unis (Eurobaromètre 2025). (...)
Quant aux annonces qui sont faites, elles sont manifestement contraires au droit de l’OMC (droits de douane différenciés entre les pays, non réciprocité etc). Alors que l’UE ne cesse d’affirmer depuis des années qu’elle veut se situer dans le cadre commercial de l’OMC, par l’annonce de cet accord, Ursula Von der Leyen désobéit aux règles de l’OMC. (...)
Conclusion : que pèsent et que font E. Macron et le gouvernement ?
Il y a des jours qui comptent. Des jours qui révèlent ce qui se cache derrière les discours grandiloquents et qui éparpillent façon puzzle les faux semblants d’une communication de façade. Ce dimanche 27 juillet en est un. Un jour qui va compter dans la jeune histoire de la construction européenne. Un jour qui met en lumière l’impuissance politique de l’UE à l’échelle internationale. Un jour qui illustre aussi la faiblesse politique d’E. Macron et de la France à Bruxelles. En six mois, Ursula Von der Leyen a conclu l’accord UE-Mercosur et cet accord avec Trump. Les deux contre l’avis de Paris. Que font Emmanuel Macron et le gouvernement à part commenter et tweeter ? (...)