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Mediapart
Après Bétharram, François Bayrou rattrapé par le scandale Pélussin
#Betharram #Bayrou #commissiondEnquete #ScandalePelussin
Article mis en ligne le 3 juillet 2025
dernière modification le 2 juillet 2025

Dans son rapport, la commission d’enquête fait resurgir l’« affaire Pélussin », qui a éclaté en 1995 dans un internat catholique de la Loire. Là aussi, François Bayrou a ignoré des lanceuses d’alerte, selon des documents retrouvés par Mediapart. Elles dénoncent aujourd’hui son « inertie ».

Jusqu’ici, l’« affaire Pélussin » était restée dans les limbes médiatiques, faute de collectif de victimes pour se faire entendre. Mais dans son rapport publié mercredi 2 juillet, la commission d’enquête post-Bétharram de l’Assemblée nationale consacre deux pages « surprises » à ce scandale oublié du milieu des années 1990, survenu au collège Saint-Jean de Pélussin, près de Saint-Étienne (Loire). (...)

Les rapporteur·es Paul Vannier (LFI) et Violette Spillebout (Renaissance) ont été destinataires, à la toute fin de leurs travaux, d’archives inédites de l’Éducation nationale particulièrement embarrassantes pour le ministre de l’époque, François Bayrou.

D’après nos informations, les député·es ont par ailleurs reçu un courrier, en date du 27 juin, d’une ex-enseignante de Pélussin qui avait lancé l’alerte il y a trente ans : « J’aurais peut-être dû vous demander de m’entendre… », leur a écrit Élisa Beyssac-Vinay. De fait, cette modeste sexagénaire a beaucoup à dire sur les violences systémiques survenues dans cet internat catholique ; et beaucoup à redire sur le « silence » et « l’inertie » du ministre d’alors, selon ses déclarations à Mediapart.

À quelques jours près, il était trop tard pour que les parlementaires l’auditionnent. Il n’empêche : l’affaire Pélussin resurgit. Et pour l’actuel premier ministre, c’est une calamité.

Car d’après notre enquête, ce dossier a de quoi plomber la défense de François Bayrou, qui déclarait en février, après sa rencontre avec les victimes de Bétharram, qu’il découvrait « un continent » dont il « ignorait » tout. Auprès de Mediapart, Élisa Beyssac-Vinay confie sa stupéfaction : « Ce continent caché », quand il était ministre (1993-1997), « il habitait dessus ». (...)

hiver 1995. À Pélussin, les deux professeures font alors exploser l’omerta qui règne à Saint-Jean, au moment même où la lanceuse d’alerte de Bétharram, Françoise Gullung, se heurte à l’autre bout de la France au mutisme de François Bayrou.

Les symétries entre les deux dossiers sont frappantes : à Pélussin aussi, le directeur d’établissement est un agresseur sexuel, avec des victimes qui se comptent par dizaines ; à Pélussin aussi, des internes dénoncent des violences physiques et des humiliations érigées en système « éducatif », avec tympan perforé à la clef ; à Pélussin aussi, les enseignantes qui s’indignent sont ostracisées, puis évacuées ; et jusqu’au numéro d’urgence pour l’enfance maltraitée qu’on s’échine, ici aussi, à cacher. (...)

il s’avère que le directeur Jean Vernet, qui gère l’infirmerie lui-même, sans le moindre diplôme de soignant, agresse les enfants depuis des années au prétexte de « palpations » et de gestes médicaux.

Expédié illico en détention provisoire, le frère mariste de 52 ans, qui ne cessera de nier, sera condamné pour des agressions sexuelles, notamment des masturbations, sur une trentaine de garçons et de filles, la plupart âgé·es de moins de 15 ans. (...)

La peine prononcée en appel ? Trente mois de prison, dont douze avec sursis, assortis d’une interdiction définitive « d’exercer une fonction d’enseignement ».

« Mais il a reçu beaucoup de soutien des maristes, c’était l’État dans l’État », s’indigne auprès de Mediapart une ancienne parente d’élèves, qui a fini par retirer ses enfants de Saint-Jean. Seulement six familles se sont d’ailleurs portées parties civiles au procès, sur la trentaine de victimes. Une fois Jean Vernet libéré, les maristes l’ont recasé, d’abord comme agent d’entretien, semble-t-il. Et ensuite ?

Retrouvé par Mediapart à la maison de retraite de la congrégation, Jean Vernet, 82 ans, refuse de détailler son parcours : « Ça ne regarde personne. » Ne formulant ni remords ni regrets, il se contente d’affirmer qu’il « respecte les décisions de justice ». Et raccroche.

Un courrier de juin 1996 à François Bayrou resté sans réponse (...)

Mais à l’époque, les récits des élèves mettent en cause bien d’autres adultes de Saint-Jean, pour des violences physiques et verbales, à caractère parfois raciste. Or sur ce volet-là, dès 1995, la justice s’ensable et les deux lanceuses d’alerte ont vite le sentiment de se heurter à un mur, qu’il s’agisse de la direction diocésaine de l’enseignement catholique ou de l’Éducation nationale.

Pis : leur quotidien au collège, alors qu’elles sont cernées par un clan d’enseignants hostiles, devient un enfer. Alors, en juin 1996, à la veille des grandes vacances, elles font un nouveau signalement au procureur – le recteur de Lyon se décidera un mois plus tard à faire de même (...)

D’après un document obtenu par Mediapart, le 23 juin 1996, les deux enseignantes saisissent aussi François Bayrou en direct (...)

Elles ne reçoivent aucune réponse – ni du ministre ni de son cabinet. (...)

le ministre, lui, ne voit toujours rien qui fasse système dans les internats catholiques.

À Saint-Jean, pourtant, la violence est érigée en projet éducatif. Déjà en 1992, le prédécesseur de Vernet avait été condamné pour des coups de pied à une fillette, coincée entre le mur et son lit. (...)

Aucun adulte mis en cause suspendu

En septembre 1996, la procédure judiciaire patine. Et quand le collège fait sa rentrée, aucun des adultes mis en cause par les élèves depuis un an et demi n’est suspendu, ni visé par une enquête administrative. Élisa Beyssac-Vinay, elle, constate amèrement que son contrat n’est pas renouvelé. (...)

Entrée dans la danse, l’association L’Enfant bleu Enfance maltraitée écrit à François Bayrou et reçoit une réponse d’un haut fonctionnaire de la Rue de Grenelle (signée « pour le ministre »). Mais pour les lanceuses d’alerte, qui ont stoppé un pédocriminel, toujours aucune considération.

Alors en janvier 1997, les deux amies s’adressent au président de la République, Jacques Chirac

Le courrier fait mouche. En quelques jours, le chef de la correspondance présidentielle le transfère à François Bayrou, en évoquant « des accusations graves », et prie le ministre en fonctions « de [lui] faire connaître la suite réservée à cette affaire ».

Le chef de cabinet de François Bayrou, Nicolas Pernot – qui n’est autre que son directeur de cabinet aujourd’hui à Matignon – récupère le dossier. « Lorsqu’une procédure judiciaire est en cours [...], l’action disciplinaire ne peut intervenir qu’après le jugement pénal », indique-t-il à la présidence de la République. En tout cas, aucune sanction n’est prise. Il semble cependant que rien n’empêche, s’agissant des enseignants rémunérés par le rectorat, une suspension à titre conservatoire.

Pour répondre à l’Élysée, Nicolas Pernot s’est visiblement renseigné auprès du recteur de Lyon, qui lui a rappelé avoir signalé les soupçons de violences physiques au procureur (un mois après les enseignantes) et rapporté « qu’un audit auprès des adultes a été engagé et qu’un lieu d’écoute pour les élèves a été mis en place ».

Une blague, aux yeux des lanceuses d’alerte.

La « cellule d’écoute », par exemple, a été confiée à Wilfried, l’un des surveillants accusés de maltraitances. Wilfried qui, d’après l’enquête judiciaire sur les agressions sexuelles de Vernet, avait gardé pour lui des révélations de plusieurs victimes, un an avant que le scandale n’éclate. Quant à l’audit, ce serait une action à l’initiative de l’enseignement catholique.

Surtout, deux ans après le premier signalement de Saint-Jean à la justice, le chef de cabinet de François Bayrou ne parle toujours pas d’une inspection en bonne et due forme. (...)

D’après plusieurs témoignages, l’enquête judiciaire qui les visait aurait finalement été classée sans suite à l’été 1997. Questionné, le parquet de Saint-Étienne ne nous a pas répondu. Pas plus que l’actuel premier ministre, sollicité à plusieurs reprises.

Avec la dissolution de l’Assemblée décidée par Jacques Chirac, François Bayrou quitte la Rue de Grenelle en juin 1997, alors que les médias enchaînent les révélations sur des cas de pédocriminalité à l’école, dans une France sidérée par l’affaire Dutroux.

Au maigre bilan du ministre ? une première circulaire sur les violences à l’école (en mai 1996), qui cible plutôt les mineurs délinquants ; et une seconde, juste avant de partir, centrée sur « la prévention des mauvais traitements », mais si timide qu’elle n’emploie ni le terme de viol ni celui d’agression sexuelle, surtout pas celui d’inceste, et parle beaucoup de « formations » et de « stages ». (...)

Jusqu’au bout, malgré Bétharram et Pélussin, le ministre aura priorisé dans plusieurs interviews données à l’époque la « prudence », au nom de la présomption d’innocence, « parce que des déclarations peuvent tuer, ce sont des armes mortelles ».

Avec l’arrivée de Ségolène Royal à l’Éducation nationale, les lanceuses d’alerte de Pélussin reprennent leur plume pour dénoncer « l’inertie » de multiples instances, dont celle de François Bayrou (...)

Au moins, elles reçoivent une réponse du cabinet de Ségolène Royal. Et la socialiste change de ton, sinon de paradigme, en signant une nouvelle circulaire qui emploie, pour la première fois, le terme de « pédophilie ». « La parole de l’enfant qui a trop longtemps été étouffée doit être entendue », assène la ministre, en regardant les statistiques en face (...)

Rapidement, une commission d’enquête sur les droits des enfants et les violences est lancée à l’Assemblée, présidée par Laurent Fabius. Elle ne se donne même pas la peine d’entendre François Bayrou. Trente ans plus tard, l’« héritière » de cette commission salue, dans son rapport final, « l’extrême lucidité » des deux lanceuses d’alerte de Pélussin. Qui attendent toujours de la part de François Bayrou, sinon une épiphanie, en tout cas « un mea culpa ».