Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Libération
Arrêts de travail « injustifiés » : une désinformation orchestrée
#SecuriteSociale
Article mis en ligne le 6 août 2025
dernière modification le 3 août 2025

Christian Lehmann, médecin et écrivain, tient pour « Libération » la chronique d’une société touchée par les crises sanitaires et du service public. Il dénonce le discours accusant les médecins d’accorder inconsidérément les arrêts de travail.

Plus la potion à avaler est amère, plus la partition des éléments de langage est bien rabâchée. Ce sont cette fois-ci les dirigeants de la Sécurité sociale qui ont lancé l’attaque. Le directeur de la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), Thomas Fatôme, ancien conseiller santé et protection sociale de Nicolas Sarkozy, et sa directrice déléguée, Marguerite Cazeneuve, sont allés de plateau en plateau pour présenter une grande nouveauté, un rapport « Charges et produits de la Cnam pour 2026 » de près de 300 pages détaillant 60 mesures pour réaliser des milliards d’économie pour la Sécu, en danger d’asphyxie dans les années à venir si l’on ne fait rien. Parmi celles-ci, un renforcement du contrôle et une mise sous tutelle des médecins prescrivant trop d’arrêts de travail…

Quelques jours plus tard, le 15 juillet, François Bayrou annonce le tour de vis sur les dépenses sociales dans ce qu’il appelle, toute honte bue, son moment de vérité, en enquillant réforme des affections de longue durée, hausse des franchises sur les médicaments, diminution de la prise en charge des indemnités journalières, avant d’asséner : « Nous devons mettre fin à la dérive » des arrêts de travail (...)

Lire aussi :

 (France Info)
La moitié des arrêts-maladies de plus de dix-huit mois sont-ils injustifiés, comme l’assure la ministre de la Santé Catherine Vautrin ?

Réforme de la prise en charge des affections longue durée (ALD), financement des arrêts-maladies par l’employeur, hausse des franchises médicales sur les médicaments… La ministre a détaillé les différentes pistes de l’exécutif pour économiser 5,5 milliards d’euros dans le secteur de la santé. Cette somme s’inscrit dans le cadre d’une feuille de route plus globale pour mettre de côté 44 milliards d’euros dans le budget 2026, détaillée mi-juillet par le Premier ministre François Bayrou. Celui-ci avait alors évoqué le même chiffre que la ministre de la Santé sur les arrêts-maladies de longue durée. Mais d’où vient cette statistique, martelée par le gouvernement ?

Des arrêts-maladies plus fréquents et plus coûteux (...)

Dans son rapport, l’Assurance-maladie explique que cette accélération est notamment portée par des facteurs structurels et conjoncturels, comme "l’augmentation de l’emploi, le vieillissement de la population active, la hausse des salaires [des rémunérations plus élevées contribuent à des indemnités journalières plus élevées] ou encore la situation épidémiologique". Elle précise que 40% de cette augmentation reste inexpliquée, avec des arrêts plus fréquents et des durées moyennes d’arrêts plus longues. (...)

Entre 2017 et 2022, les arrêts entre un an et deux ans ont notamment bondi de 20%. "Ce sont paradoxalement les personnes qui n’étaient pas en ALD [affections de longue durée, dont la liste est établie par l’assurance-maladie] qui contribuent à la croissance des arrêts longs", constate la Cnam, évoquant parmi les motifs les syndromes dépressifs et anxio-dépressifs mineurs, ainsi que des troubles musculosquelettiques comme la lombalgie commune et la sciatique.

"Des contrôles médicaux ponctuels sur les arrêts de plus de dix-huit mois ont montré que 54% des arrêts concernés par ces contrôles n’étaient plus justifiés, avec la possibilité d’une reprise du travail pour le salarié ou d’un passage en invalidité", précise effectivement la Cnam dans cette présentation. Autrement dit, il ne s’agit pas ici d’arrêts de complaisance, qui seraient totalement infondés : l’Assurance-maladie estime plutôt que la longueur de certains arrêts est disproportionnée par rapport à leur motif. Des arrêts de plus de cent-vingt-quatre jours ont été prescrits pour des sciatiques par plus de 600 personnels soignants, alors que la durée d’arrêt recommandée pour cette pathologie est de 35 jours maximum, illustre la Cnam. (...)

Comme l’Assurance-maladie, le service de statistiques du ministère de la Santé évoque, dans une note(Nouvelle fenêtre), une hausse du nombre d’arrêts et d’indemnités journalières versées qui "peut résulter pour partie d’arrêts injustifiés, comme le révèlent les contrôles opérés notamment par le service médical de l’Assurance-maladie auprès d’assurés et de prescripteurs". Toutefois, elle justifie aussi cette hausse par "la dégradation des conditions de travail", "l’exposition à certaines pénibilités physiques" et les "contraintes psychosociales".

Le nombre de 54% d’arrêts-maladies de plus de dix-huit mois non justifiés évoqué par l’exécutif est donc authentique. Mais il cache une réalité complexe (...)

Pour les médecins, une pilule qui ne passe pas

Du côté des médecins, les soupçons d’émission d’arrêts injustifiés font bondir. "Je ne connais pas un seul patient en France, en arrêt depuis plus de dix-huit mois, qui n’ait pas été contrôlé par un médecin-conseil [médecin mandaté par l’assurance-maladie, dont le rôle est de vérifier la conformité de l’arrêt-maladie pour éviter les abus]", rétorque auprès de franceinfo Jérôme Marty, médecin généraliste et président du syndicat Union française pour une médecine libre. Il dénonce des "éléments de langage" de la part du gouvernement. (...)

Pour réduire ses dépenses, l’Assurance-maladie propose bien de "lutter contre l’absentéisme de courte durée" en "encadrant davantage la prescription". L’organisme propose ainsi de rendre obligatoire l’inscription des motifs d’arrêt, certains médecins ne justifiant pas les arrêts signés. Il conseille également de limiter la durée de l’arrêt pouvant être prescrit, de réformer le régime des ALD et de renforcer les actions de prévention de la désinsertion professionnelle, dans le cadre des arrêts de longue durée.

Ces recommandations ont d’ailleurs été reprises par Catherine Vautrin, qui souhaite "limiter tout premier arrêt de travail à quinze jours en médecine de ville" et à "un mois en sortie d’hospitalisation". "Cela va créer des consultations inutiles et obligatoires", anticipe Jérôme Marty. "Dans le cadre de la dépression, par exemple, il faut un mois avant que l’antidépresseur n’agisse. Nous savons déjà qu’au bout de quinze jours, il faudra prolonger l’arrêt", illustre le médecin généraliste.