
Poussé vers la sortie par le gouvernement nigérien, qui vient d’annoncer la nationalisation d’une de ses filiales, le géant français de l’uranium est accusé de ne pas assumer ses responsabilités sociales et environnementales. En cause : sa décision de suspendre le programme de réhabilitation de la mine de la Cominak.
Le bras de fer qui oppose depuis plusieurs mois l’État du Niger au géant français de l’uranium, Orano, a probablement franchi un point de non-retour. Le 19 juin, le gouvernement civilo-militaire issu du coup d’État du 26 juillet 2023 a annoncé sa volonté de nationaliser la Société des mines de l’Aïr (Somaïr), une filiale d’Orano qui exploite la dernière mine en activité du groupe français au Niger, dans le nord, à Arlit. Si cette nationalisation se concrétise, Orano aura définitivement perdu pied dans un pays qui fut longtemps considéré comme son fief historique (le groupe y est installé depuis les années 1960), mais aussi comme sa chasse gardée.
Les autorités nigériennes, qui entonnent le refrain du souverainisme depuis deux ans et qui sont engagées dans une guerre diplomatique larvée avec la France, reprochent à la firme d’avoir « entrepris plusieurs actes visant à arrêter les travaux d’exploitation au niveau de la Somaïr » et de mener des « campagnes d’intoxication pour créer des problèmes entre la société, ses fournisseurs, ses clients, ses sous-traitants et ses employés ». Un comportement qualifié d’« irresponsable », d’« illégal » et de « déloyal ». La multinationale dénonce pour sa part « la volonté des autorités militaires d’évincer Orano du Niger depuis leur prise du pouvoir en 2023 » et précise qu’elle entend « réclamer la compensation de l’ensemble de son préjudice » tout en se réservant « le droit d’initier » des actions en justice. (...)
Une autre décision d’Orano, passée relativement inaperçue, et pourtant potentiellement explosive, a contribué à tendre les relations : en janvier, le groupe a annoncé la suspension du réaménagement du site (RDS) de la Compagnie minière d’Akouta (Cominak), sa troisième filiale nigérienne.
Entre 1974 et 2021, la Cominak a extrait près de 75 000 tonnes d’uranium du site d’Akouta (une mine souterraine de plus de 200 mètres de profondeur qui possède l’un des plus grands réseaux de tunnels au monde), situé à 7 kilomètres d’Arlit. Le filon s’épuisant, et son exploitation n’étant plus rentable, le site a fermé en 2021. Orano s’est alors engagé à le réhabiliter et à le réaménager – c’est-à-dire à atténuer les risques de pollution, à défaut de pouvoir rendre le site propre – tout en promettant d’accompagner les près de six cents employé·es et le millier de sous-traitants qui y travaillaient, et de développer des programmes pour aider la population d’Arlit, dans l’agriculture notamment.
Orano suspend le RDS
Chiffré à quelque 125 milliards de francs CFA (190 millions d’euros), et prévu pour se dérouler sur au moins une décennie, ce plan de réaménagement était censé limiter les effets de la fermeture de la Cominak. Quatre ans plus tard, le bilan est maigre selon plusieurs sources locales, tant sur le volet environnemental que sur les volets social et sociétal.
« Des choses ont été faites, mais trop peu », déplore un élu local qui a requis l’anonymat. (...)
beaucoup jugent ces mesures insuffisantes. « L’économie tourne au ralenti, des commerces ont fermé, des gens sont partis », ajoute l’élu.
Or le 9 janvier, Orano a fait savoir qu’il avait décidé de suspendre « de manière temporaire » le financement du RDS, au motif que le budget du programme pour l’année 2025 n’avait pas pu être validé, en raison d’un conflit au sein du conseil d’administration de la Cominak. Orano, qui est majoritaire au sein de la société, s’oppose en effet à la nomination, actée en juillet dernier par le gouvernement nigérien, qui détient lui aussi des parts, d’Almoustapha Alhacen, sa bête noire, à la tête du CA.
Cet ancien employé de la Cominak puis de la Somaïr a créé une ONG dans les années 2000, Aghirin’man, qui n’a cessé de dénoncer les abus des filiales d’Orano et de documenter les effets de la pollution sur la population, en lien avec plusieurs organisations françaises. « La pollution est là pour des millions d’années », déplore-t-il régulièrement. Au sein d’Orano, sa nomination a été perçue comme une déclaration de guerre. (...)
Orano a entrepris des tests visant à recouvrir cette montagne radioactive de matériau argileux, mais les travaux n’ont pas réellement commencé, souligne Bruno Chareyron, qui suit ce dossier depuis des années au sein de la Commission de recherche et d’information indépendante sur la radioactivité (Criirad), une organisation indépendante, et qui a réalisé plusieurs études sur place. Or c’est « la première chose à faire », estime-t-il, ces déchets exposant les riverain·es à des poussières radioactives.
« Un demi-siècle de sorcellerie »
L’autre urgence, indique-t-il, est de mettre en place un dispositif de confinement hydraulique afin d’éviter la pollution des nappes phréatiques, et notamment la nappe de Teloua, qui alimente la ville d’Arlit (...)
S’il ne veut pas encore parler de catastrophe environnementale, le chercheur estime que la suspension du RDS est « une très mauvaise nouvelle », autant « pour la population actuelle », exposée au radon (un gaz radioactif qui s’échappe du site), que pour les générations futures, « qui risquent de boire une eau contaminée ». Il cite en outre d’autres risques, dont celui de voir les habitant·es venir récupérer les ferrailles contaminées sur le site – ce qu’elles faisaient déjà quand l’usine fonctionnait encore – si la surveillance n’est plus assurée.
« Le problème, ajoute Almoustapha Alhacen, c’est que personne ne mesure la pollution aujourd’hui. On ne sait donc pas quelles sont les conséquences de la fermeture du site, ni celles de la suspension du programme de réhabilitation. Ce qui est sûr, c’est qu’on a des milliers de personnes au chômage et que l’hôpital ne fonctionne plus. » (...)
Le 28 avril, deux organisations de la société civile d’Arlit ont déposé un référé devant le tribunal de grande instance d’Arlit pour obliger la Cominak à reprendre le RDS. Le 27 juin, un juge leur a donné raison. Mais les plaignants ne font plus confiance à Orano, ils croient que le groupe français se dérobera « une nouvelle fois ». Dans leur plainte, ils parlent d’« un demi-siècle de sorcellerie » d’Orano, qu’ils accusent de ne pas assumer « sa responsabilité sociale et environnementale ». (...)