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Mediapart
Bernard Arnault, porte-voix radicalisé du capital
#TaxeZucman #inegalites #ultrariches #BernardArnault #extremedroite
Article mis en ligne le 26 septembre 2025
dernière modification le 23 septembre 2025

S’il fallait une preuve que la société est malade, on pourrait avancer ce fait étonnant qui consiste à prendre Bernard Arnault au sérieux. Dans un entretien au Sunday Times, le magnat du luxe a tenté, une nouvelle fois, de faire passer ses obsessions pour des analyses économiques. La taxe Zucman, qui entend frapper à hauteur de 2 % les plus hauts patrimoines, serait ainsi « mortelle pour l’économie française », et l’économiste, un « militant d’extrême gauche ». Ses propos ont inondé les médias français et étrangers.

Mais à militant, militant et demi. Bernard Arnault ne s’exprime pas en tant que juge impartial : il est un des principaux concernés par la taxe Zucman. Aussi ne doit-on pas s’étonner qu’il en fasse une des sept plaies d’Égypte.

Cependant, le milliardaire ne se plaint pas qu’on le taxe, ce qui serait de bonne guerre mais n’aurait pas grand intérêt par ailleurs. Non, ce qu’il prétend, c’est qu’en s’attaquant à lui, on s’attaque à l’économie française tout entière.

À cette aune, et c’est l’objectif de ces propos, l’économie française qui, chaque année, produit 3 000 milliards d’euros par le travail de près de 30 millions de personnes, se réduit à la volonté de quelques-unes, dont il faut reconnaître la « supériorité ». Le patron de la Banque publique d’investissement (BPI), Nicolas Dufourcq, ne dit pas autre chose lorsqu’il prétend que l’on devrait « ériger des statues à Pinault et à Niel plutôt que de les taxer à 2 % ». Ces grands patrons feraient l’économie française, et les taxer serait la pénaliser.

Cette vision frise pourtant le ridicule. D’abord, parce qu’un patron peut favoriser son entreprise ou sa propre accumulation de richesse, mais il n’a pas de maîtrise de l’ensemble des évolutions macroéconomiques. Cette vision qui réalise une équivalence entre les grands patrons et l’économie nie l’existence d’une réalité qui échappe aux premiers. Un patron n’est pas actif dans la conjoncture, il agit dans un environnement qui le dépasse et sur lequel il n’a aucune prise, sauf sur des points de détail. (...)

depuis un demi-siècle, la croissance mondiale a été divisée par deux et le nombre de milliardaires a explosé. En parallèle, le chaos politique, social et environnemental s’est imposé partout. La réussite de ces gens a donc été inversement proportionnelle à celle des économies. Ce qui doit immédiatement interroger sur leur caractère nuisible. (...)

on se demande bien à quel titre on devrait ériger des statues à ces hommes riches, alors même que l’accroissement de cette richesse s’accompagne d’une détérioration palpable des conditions de vie de la majorité de la population. De là, la seconde conclusion : les milliardaires ne peuvent pas être les mieux placés pour donner des conseils de politique économique.

Bernard Arnault, un « succès » construit sur la rente et l’État (...)

Bernard Arnault en sait quelque chose, puisque son groupe est, aujourd’hui, au cœur d’une crise profonde du monde du luxe qui met en cause son modèle économique, consistant à vendre des produits de masse hors de prix. Il peut bien faire ce qu’il veut, il ne peut pas, à lui seul, contrer l’évolution de la consommation chinoise, pénalisée par l’explosion de la bulle immobilière. Il n’a même aucune prise sur son « ami » Donald Trump, qui lui a imposé des droits de douane de 15 % sur les spiritueux, malgré sa volonté d’obtenir une taxe allégée.

Il faut donc être clair : les patrons sont des agents économiques comme les autres. Leur situation de domination sociale leur permet, parfois, de faire payer les autres acteurs, principalement l’État, les consommateurs et les producteurs, pour réaliser leur accumulation. Mais on ne mesure pas – et on ne mesurera jamais – la réussite d’un pays au nombre de milliardaires. (...)

Aux côtés des pouvoirs publics, de nombreuses collectivités et organismes publics, à commencer par Paris et Versailles, se mettent en quatre pour satisfaire les demandes du groupe, qui réussit à obtenir des contrats et des privilèges dépassant toutes les règles du droit commun, de la concession du Jardin d’acclimatation aux Champs-Élysées, en passant par le jardin de Versailles, l’ancienne École polytechnique, voire le Louvre.

Construisant son succès sur une forme de prédation de l’État, Bernard Arnault aime à se présenter comme une forme de pointe avancée du capitalisme français. Mais c’est là encore une illusion, car si LVMH a prospéré grâce au double soutien de l’État français et du capitalisme d’État chinois, son dirigeant a connu une suite de déboires tragiques qui font douter de ses compétences économiques.

Bernard Arnault est l’exemple de ce qu’il ne fallait pas faire pendant la bulle internet. (...)

Au reste, la preuve que Bernard Arnault, comme les autres milliardaires, se moque profondément de l’intérêt général, c’est son soutien à l’accord passé fin juillet entre l’Union européenne et les États-Unis. Le milliardaire avait clairement exprimé, dans les colonnes du Figaro, qu’il fallait accepter les conditions de Donald Trump, même au prix de mesures douloureuses.

Car ce qui l’intéresse ici, c’est de maintenir son accès au marché états-unien. Peu importe que cet accord sacrifie d’autres secteurs et organise une vassalisation de fait de l’Europe, s’il peut continuer à vendre ses sacs outre-Atlantique. Et pour couronner le tout, LVMH n’hésite pas à investir aux États-Unis, c’est-à-dire à délocaliser une partie de sa production de France, pays dont la marque épuise pourtant l’image dans sa communication.

La trumpisation du capitalisme français

Ce soutien à Donald Trump, une connaissance de longue date, n’est pas un détail. Il traduit une évolution de l’homme, et plus généralement, de sa classe, vers la nouvelle extrême droite, celle qui s’incarne dans le président états-unien et qui mêle un discours de liberté pour les capitaux avec une tendance autoritaire, xénophobe et réactionnaire. (...)

Lorsque Arnault rejette l’économiste dans le camp d’une « l’extrême gauche » voulant détruire l’économie, il ne se contente pas d’une exagération.

Il construit un monde où l’extrémisme commence aux portes du macronisme, c’est-à-dire qu’il tente de discréditer toute tentative de réforme du capitalisme, perçue comme sa destruction. (...)

C’est une stratégie qui a deux buts. Le premier est d’imposer un renouvellement politique en faveur de l’extrême droite, pour imposer une politique favorable au capital. Le second est de limiter le débat non seulement dans le cadre du capitalisme, ce que fait habituellement la démocratie libérale, mais dans le cadre strict des politiques de soutien aux secteurs déjà dominants du capital.

Ce qui se dessine à travers les déclarations de Bernard Arnault, c’est le nouveau régime dans lequel le capitalisme est sur le point d’enserrer la société.

Dans ce régime, le capital est intouchable, même symboliquement, et la question de la redistribution est limitée à celle entre les catégories de travailleurs, sur des critères ethniques et nationaux. Cette logique induit une destruction systématique des normes, sociales et environnementales, réduites à une bureaucratie inutile (...)

Pour augmenter son taux de profit, le capital ne tolère plus aucune frustration, ni équité fiscale, ni norme environnementale, ni droit du travail. La seule contrainte qu’il accepte est celle de la puissance, c’est-à-dire du rapport de force. C’est pourquoi il est prêt à accepter les conditions nouvelles d’accès au marché états-unien. Mais cette concession doit se payer directement par la destruction de l’État social et des protections des travailleurs sur son marché intérieur aux fins de compensation. (...)

le nouveau visage du capitalisme se confond avec l’extrême droite. Et Bernard Arnault en est l’incarnation. Il n’est certainement pas un parangon de sagesse ou de savoir sur l’économie, il est seulement le porte-voix du capital prédateur radicalisé. Une radicalisation qui nous projette dans le désastre.

Lire aussi :

 (Institut des Politiques Publiques)
Quels impôts les milliardaires paient-ils ?

(...) Cette étude est le fruit d’un travail inédit de mesure du revenu et de l’imposition effectifs des ménages les plus fortunés en France sur l’année 2016. Les chercheurs de l’IPP (Laurent Bach, Antoine Bozio, Arthur Guillouzouic, Clément Malgouyres) ont élaboré une mesure du revenu économique de ces ménages qui se distingue du traditionnel revenu fiscal de référence en intégrant notamment les revenus non distribués des sociétés qu’ils détiennent.

A partir de cette nouvelle mesure, les auteurs démontrent que le taux d’imposition globale apparaît progressif jusqu’à des niveaux élevés de revenu puis devient régressif pour le sommet de la distribution : il atteint en effet 46 % pour les foyers les 0,1% des plus riches puis descend à 26% pour les 0,0002% les plus riches.

Ce taux plus faible d’imposition des plus hauts revenus s’explique par le fait que l’imposition des bénéfices des sociétés est plus faible que l’imposition des revenus personnels.

Pour les « milliardaires », l’impôt sur le revenu ou l’ISF ne représentent qu’une fraction négligeable de leurs revenus globaux, alors que l’impôt sur les sociétés est le principal impôt acquitté.

Les auteurs remettent en perspective ces résultats avec un approche historique et des comparaisons internationales, et ouvrent le débat sur les difficultés mais aussi les solutions possibles d’une imposition progressive jusqu’au sommet de la distribution, donc d’une fiscalité plus juste.