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Comment meurent les morts
#cimetières #morts #memoire
Article mis en ligne le 6 octobre 2025

Matinée bruineuse, ciel gris.

Je pars explorer la ville, comme chaque matin. Une rue, puis une autre, que je ne connaissais pas. J’arrive au cimetière. Il faut bien qu’il y ait quelque part un cimetière. Celui-là est vaste, divisé en carrés séparés par des allées avec des noms de fleurs et d’oiseaux, comme tous les cimetières. Surpeuplé.

Surpeuplé du peuple des morts. Dont les tombes s’accumulent, serrées les unes contre les autres. On lutte ici contre l’oubli avec des promesses de mémoire éternelle. Optimisme cruel : ici, l’inscription « Nous n’oublierons jamais » est dévorée par le lichen et la végétation. Les noms des morts désormais effacés. Les morts bel et bien oubliés. La mairie a posé un panneau : concession abandonnée. Et donc disponible. Le cimetière est un parc immobilier saturé. On a ouvert en contrebas un nouveau carré où s’alignent les pierres tombales passablement laides, qui obéissent aux canons de l’esthétique contemporaine du mobilier funéraire : on dirait un lotissement de banlieue. Dans la mort comme dans la vie : ces maisons toujours pareilles et le petit jardinet attenant – manque juste le garage pour l’automobile.

Les parties plus anciennes, qui m’affectent d’un je ne sais quoi de mélancolique, n’en sont pas moins normées sur l’esthétique de leur époque. Pierre granitique et caveau funéraire, minuscule chapelle, verrières. Leur charme vient avant tout de leur ancienneté.

Les vivants s’efforcent de distinguer leur mort, malgré leur irrésistible tendance à l’alignement. (...)

Il existe des sociétés où l’on préfère oublier les morts. Oublier ici, est à prendre au sens actif. Comme : s’en débarrasser. Les mettre à l’écart. Dans de nombreuses populations animistes, en Amazonie comme en Sibérie, le décès doit être promptement suivi de rituels conjurant la menace que représente le mort. Il ne faudrait pas qu’il revienne hanter les vivants. Parfois, le meilleur moyen d’empêcher le défunt de revenir, c’est de manger son corps. (...)

C’est un cliché répandu selon lequel les sociétés animistes voueraient un culte aux ancêtres. Les ethnologues qui cherchent à établir des généalogies en sont pour leur frais. Il est rare que la mémoire des disparus s’étende au-delà de deux générations. (...)