
Après la sidération provoquée par la mort d’une étudiante dont le meurtrier présumé était un étranger sous OQTF, la droite et l’extrême droite ont voté une loi permettant d’allonger la rétention administrative jusqu’à 210 jours. Une réponse à la fois erronée et en contradiction avec l’État de droit.
En mars 2025, Amadou* regarde les infos à la télévision. C’est l’une des seules occupations possibles entre les murs du centre de rétention administrative (CRA) de Cornebarrieu, près de Toulouse, où il est enfermé. Ce jour-là, il est question de la loi visant à allonger la durée de rétention. Le jeune homme d’une vingtaine d’années est paniqué. Risque-t-il vraiment de rester jusqu’à sept mois au lieu de trois dans ce lieu où il craint la violence ? (...)
La loi alors votée par le Sénat vise à allonger la durée maximale de rétention. Jusque-là, seules les personnes condamnées pour des faits de terrorisme pouvaient rester enfermées jusqu’à 210 jours.
Pour comprendre ce qui a permis de justifier cette proposition de loi, retour en septembre 2024. Le corps d’une étudiante de 19 ans, Philippine, est retrouvé au bois de Boulogne. Le meurtrier présumé est un Marocain sous le coup d’une OQTF (...)
Il est sorti du CRA de Metz quelques semaines plus tôt, avant que l’administration n’obtienne le laissez-passer consulaire nécessaire à son expulsion. (...)
Les médias s’emparent du drame, les responsables politiques aussi. Ils remettent en cause la chaîne pénale et administrative. II n’en faut pas plus à Bruno Retailleau, devenu ministre de l’Intérieur le lendemain du meurtre, pour se saisir de l’affaire (...)
Instrumentalisation fémonationaliste
Le 1er octobre 2024, une minute de silence en hommage à Philippine est observée à l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet, la présidente de l’Hémicycle, déclare : « Dans tout le pays, cette tragédie insoutenable a soulevé une vague de douleur et d’émotion. » Plus tard, durant la séance, Marine Le Pen interpelle le gouvernement sur la supposée nécessité d’un « sursaut migratoire » : « Aujourd’hui plus que jamais, nous le devons à Philippine, comme aux dizaines de femmes assassinées l’an dernier par des étrangers sous OQTF. »
À droite comme à l’extrême droite, le meurtre de cette jeune fille est instrumentalisé dans une logique fémonationaliste pour demander un durcissement des lois visant les étrangers. (...)
En séance, Guy Benarroche, sénateur écologiste des Bouches-du-Rhône, dénonce la manœuvre politique : « Contextualiser les lois est une chose, mais la frontière est ténue entre l’opportunité et l’opportunisme. » Christophe Chaillou, sénateur PS du Loiret, abonde : « Même si nous sommes tous choqués par le meurtre abject d’une jeune fille, l’émotion légitime ne doit pas conduire à renoncer à certains principes fondamentaux. » Ian Brossat, sénateur communiste, qualifie la proposition de loi de « texte CNews ». (...)
Votée au Sénat, la proposition de loi est transmise à l’Assemblée, où les débats sont du même acabit. (...)
Bruno Retailleau s’en défend : « Je n’utilise pas le meurtre de Philippine pour quoi que ce soit. Sachez seulement que ses parents attachent beaucoup d’importance à ce que les durées de détention en CRA soient allongées. » (...)
Malgré l’opposition de la gauche, la loi est définitivement adoptée le 9 juillet, avec les voix du bloc central et celles du Rassemblement national. Depuis, les personnes retenues confient leurs inquiétudes aux membres d’associations leur apportant un soutien juridique. Justine Girard, responsable nationale rétention de la Cimade, explique : « Il y a des personnes qui commencent à paniquer et se demandent si la loi s’appliquera à leur cas. L’idée même de faire trois mois est inquiétante, donc la perspective d’en faire sept… » (...)
Un système « qui détruit des vies »
La loi, qui doit encore être promulguée, s’appliquera pour les étrangers ayant commis certains crimes et délits, mais aussi pour ceux représentant « une menace d’une particulière gravité pour l’ordre public ». Une notion juridiquement floue qui sera laissée à l’appréciation de l’administration. Justine Girard souligne le « détournement de la rétention pour enfermer des personnes » et « la confusion de plus en plus prégnante entre l’administratif et le pénal ». (...)
En décembre dernier, les associations avaient alerté sur l’augmentation des actes d’automutilation et des tentatives de suicide dans les CRA, où quatre personnes étaient décédées entre octobre et décembre. (...)