
En Ukraine, les territoires que l’administration Trump pourrait encourager à céder à la Russie ont été transformés en un amas de ruines dépeuplées. En onze ans de conflit, l’économie de cet ancien cœur industriel du pays a été dévastée.
(...) À l’exception d’un mince territoire à l’extrême ouest, les forces russes contrôlent la quasi-totalité de la région de Louhansk, ainsi que les trois quarts de celle de Donetsk. Les deux régions administratives constituent le Donbass, bassin riche en minerais et en charbon, et cœur industriel de l’Ukraine jusqu’en 2014. À l’époque, la région, très urbanisée, comptait près de 6,5 millions d’habitant·es, ce qui en faisait une des plus peuplées d’Ukraine après la capitale.
Dans le quart du Donbass que contrôle encore l’armée ukrainienne, près de 255 000 civils cohabitent désormais avec un grand nombre de militaires, selon les chiffres de l’administration régionale en date du 1er août. Après 2022, Sloviansk et Kramatorsk se sont ainsi transformées en bases arrière essentielles pour l’armée ukrainienne. (...)
Après 2022, Sloviansk et Kramatorsk se sont ainsi transformées en bases arrière essentielles pour l’armée ukrainienne.
Dans les rues, les militaires en uniforme se mêlent aux véhicules blindés et aux pick-up hérissés d’antennes, signes visibles d’une ville entièrement tournée vers l’effort de guerre. Aux hérissons antichars, aux fortifications et aux checkpoints qui parsèment les routes, se sont ajoutés des filets antidrones, tendus au-dessus des rues bordées de maisons abîmées par les bombardements.
Cette militarisation a favorisé l’émergence d’une économie de services destinée aux soldats, sans jamais compenser la disparition des usines qui faisaient autrefois battre le cœur industriel de la région.
Au centre de Sloviansk, un café branché attire désormais militaires, humanitaires, journalistes et quelques habitants aisés autour d’un latte au lait d’avoine ou de pâtisseries élégantes. « Il n’y a plus d’usines, plus d’industrie. Le seul travail disponible concerne les services aux militaires : location d’appartements, restaurants, fleuristes pour les épouses en visite et garages » (...)
Plus de bombes, plus de drones suicides
Des dessins, des mots et même des poèmes de remerciement de clients tapissent une partie des murs. Parmi les militaires ou civils croisés dans le café, rares sont ceux qui attendent vraiment une issue positive aux négociations. La plupart disent ne pas suivre activement les informations, absorbés par les urgences du quotidien : la survie, la fatigue, et cette guerre qui cogne chaque jour à leur porte.
Sur une carte, les gains russes paraissent dérisoires, mesurés en centaines de mètres plutôt qu’en kilomètres carrés depuis un an. Mais, pour les habitant·es du Donbass, cela signifie que de plus en plus de bombes et de drones suicides s’abattent, d’autant plus que leur portée est de plus en plus lointaine. Kramatorsk, la capitale régionale, se trouve désormais à seize kilomètres de la ligne de front et les petits drones FPV (first-person view) terrorisent les habitant·es de la région, qui fuient encore.
Depuis le début de l’année, environ 60 000 personnes ont quitté la zone. (...)
Dans la région, environ 103 700 personnes âgées habitent encore, soit 40 % de la population selon l’administration locale. Pour beaucoup, qui n’ont pas l’argent ou la force de partir, le seul espoir reste de demeurer chez soi.
Dans un centre humanitaire de Kramatorsk, la bénévole Olena Roudenko observe qu’un nombre croissant d’habitant·es dépendent désormais uniquement de l’aide internationale, faute d’emplois. Dans les locaux, des piles de cartons de vêtements, de produits d’hygiène et de denrées s’accumulent. (...)
Mais Tetyana, qui voit sa région mourir à petit feu, n’espère pas vraiment de changement. « Les Russes continueront à se battre jusqu’à ce que cette terre soit un désert. Il n’y aura plus que des ruines et plus personne. Ni d’un côté ni de l’autre, déplore la jeune femme. Ils se battent pour nous contrôler. Pour le Donbass russe. Pour nous “libérer”… jusqu’à ce qu’il n’y ait plus personne ici. »