
C’est une maison rouge, entourée par la verdure. On y vient usé, on ne frappe pas. Son portail en bois n’est jamais fermé. Et souvent, il est difficile de la quitter. Cette grande bâtisse en briques plantée à Herzeele, en pleine campagne nordiste, offre depuis 2019 aux exilés les plus fragiles arrivés sur le littoral français tout ce qui leur manque au dehors : un toit, une douche, à manger et un cadre sûr.
Plus de 2 000 migrants, le plus souvent des familles, y ont déjà "fait une halte pour se reposer" durant quelques semaines, voire plusieurs mois en hiver, profitant de ses six chambres et de son vaste jardin pour oublier un instant "leur situation absolument catastrophique" sur la route de l’exil, selon les mots de Sylvie Desjonquères, fondatrice de la maison Sésame.
"Ils arrivent fatigués, la tête rentrée dans les épaules. Et on les voit changer complètement", souffle Lucie, l’actuelle coordinatrice du lieu. En cette mi-juillet, les cris et rires d’une ribambelle d’enfants tourbillonnent dans le jardin. Un père irakien, torturé dans son pays natal, se détend en tondant la pelouse. Plus loin, une jeune Albanaise joue dans le sable avec un bébé aux grands yeux curieux, né durant le périlleux voyage entrepris par ses parents pour fuir le Soudan.
"De la simplicité, de l’humanité"
Il y a quelques jours, une résidente soudanaise retenue en Libye durant trois ans a désigné la maison Sésame comme un "paradis". L’endroit se distingue de tous les autres types d’accueil proposés, sur le littoral, aux candidats à la dangereuse traversée par bateau vers l’Angleterre. Outre l’éloignement géographique et les difficultés administratives (liées à la procédure de Dublin) d’une mise à l’abri par l’État, les exilés n’ont d’autre choix que de s’entasser sur des camps de fortune construits dans les bois autour de Loon-Plage, démantelés chaque semaine par les forces de l’ordre. (...)
Un lieu en proie à la loi des passeurs, souvent violent pour les femmes et les enfants, où le seul réconfort provient d’associations venant les nourrir et les soigner. "Dehors, ils sont condamnés à se cacher. Ici, ils peuvent oublier cette peur au ventre et retrouver quelque chose qui s’est perdu : de la simplicité, de l’humanité", défend Sylvie Desjonquères, ancienne présidente d’une communauté Emmaüs à Dunkerque. (...)
À l’image de l’accueil inconditionnel réservé aux démunis par ce mouvement, la maison Sésame rend tangible l’article 13 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, étalé en lettres géantes sur l’une de ses façades : "Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État". (...)
De passage
"Les histoires qu’on entend sont dures", note Lucie. "Mais ce qui compte ici, c’est de retrouver une vie normale. Les enfants jouent, on cuisine de bons petits plats, chacun se gère et tout le monde danse le soir." La quinzaine d’exilés est consciente d’être seulement de passage, afin de laisser leur place à d’autres. Certains n’oublient jamais l’expérience. "C’est la première fois que je me sentais à nouveau chez moi, depuis que j’avais quitté mon pays", soutient Majena, une jeune Albanaise revenue d’elle-même en juillet avec ses deux fils pour aider les occupants de la maison Sésame, après y avoir été hébergée en fin d’année dernière. Le fils aîné d’une famille kurde, passée par Herzeele en 2020 avant d’être régularisée en Angleterre, reviendra aussi cet été comme bénévole.
Six ans et demi après sa création, la parenthèse de la maison Sésame reste ouverte. "Son fonctionnement coûte 85 000 euros à l’année, couverts grâce aux dons, à la société civile et à nos actions", résume Sylvie Desjonquères, qui a racheté la maison familiale à ses frères et sœurs pour y nicher cet accueil idéal. Si les 500 millions d’euros alloués par Londres à la France depuis 2023 ne servait pas à militariser la frontière maritime, "il pourrait y en avoir 6 000 autres", calcule-t-elle.