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Mediapart
Des millions d’euros du syndicat francilien des eaux se sont évaporés à l’étranger
#Siaap #Ecoglobal #escroqueries #corruption
Article mis en ligne le 15 août 2025
dernière modification le 11 août 2025

Mediapart révèle le contenu de deux audits qui viennent d’être conduits sur les opérations internationales financées par le syndicat d’assainissement des eaux en Île-de-France. Où est passé l’argent ? La question est au cœur d’une enquête judiciaire.

Les premiers retours du terrain étaient déjà douteux, le constat est désormais calamiteux. Deux audits réalisés en urgence par un cabinet d’ingénierie spécialisé montrent que des millions d’euros versés par le Syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération parisienne (Siaap) dans le cadre de prétendues opérations de « solidarité internationale » n’ont pas été utilisés pour mener les travaux annoncés dans des pays pauvres, d’après des informations de Mediapart.

Ces rapports ont été réalisés à la demande de la direction du Siaap, au moment où la justice anticorruption a intensifié ses recherches sur ce dossier. À la suite de l’ouverture d’une enquête au printemps par le Parquet national financier (PNF) pour des soupçons de détournement de fonds publics et corruption, les locaux du syndicat ont notamment été perquisitionnés, mercredi 16 juillet, comme nous l’avions révélé.

Les documents rédigés par les équipes de la société Yxo Consultants, secondées par deux autres cabinets (Merlin et Egis), établissent que les projets conduits par la fondation EcoGlobal, avec laquelle le Siaap a cru bon devoir travailler pendant près d’une décennie malgré une absence de référence et un fonctionnement d’une opacité criante, n’ont jamais abouti sur le terrain. Alors même que de l’argent a bien été versé, tous les ans. (...)

Il ressort de ces recherches un nombre de manquements faramineux, qui laisse entrevoir l’ampleur du scandale sur toutes les autres opérations conduites par EcoGlobal (au moins six pays sont concernés). Officiellement créée en 2013 par Jean-Philippe Henry, homme d’affaires français de 45 ans établi à l’étranger, amateur de belles montres et voitures de luxe, la fondation s’est en effet vu confier de nombreux projets en Guinée Conakry, aux Philippines ou aux Seychelles, après être parvenue à gagner la confiance du Siaap pour des raisons qui demeurent mystérieuses à ce stade.

Au Laos, EcoGlobal a été mandaté en 2019 par le syndicat d’Île-de-France pour accompagner le traitement des eaux usées dans la ville de Luang Prabang, inscrite au patrimoine mondiale de l’Unesco depuis 1995. En cinq ans, la fondation devait établir un diagnostic des réseaux existants et construire une station de traitement des boues de vidange, en formant aussi des agents d’exploitation sur place.

La structure de Jean-Philippe Henry a touché 1,2 million d’euros, étalés en quatre tranches de 300 000 euros, alors même que les justificatifs de dépenses et de travaux qu’elle a fournis en application de la convention signée avec le Siaap et les autorités locales n’ont pas permis de certifier l’avancement du chantier. En effet, malgré les sommes engagées, les « rapports financiers » présentés par EcoGlobal se limitaient à des « tableaux Excel d’environ une page », sans aucun document justificatif, s’étonne Yxo Consultants dans son rapport, qui relève par ailleurs des incohérences dans les prix pratiqués.

Les rapports techniques établis par EcoGlobal se limitaient pour leur part à des « recueils de photographies de chantier avec des légendes sommaires », selon l’audit, sans aucun plan de coupe ou élément concret sur le dimensionnement des ouvrages, les caractéristiques des matériaux utilisés, etc. Les rapports en question ne sont par ailleurs « pas datés et ne comprennent aucune information sur les dates des chantiers annuels », pointe encore le cabinet d’ingénierie.
Un projet mort-né, selon les autorités laotiennes

Le projet laotien semble avoir dérapé dès la première année, puisque les recherches menées auprès du Siaap n’ont pas permis de retrouver le diagnostic assainissement de la commune et l’étude de faisabilité de la station, pourtant prévus par la convention.

À Luang Prabang, sur un terrain dont EcoGlobal a négocié une mise à disposition sur trente ans auprès de la commune, un ingénieur a découvert un terrain terrassé sur lequel ont été installés cinq filtres en gravier et en sable, censés fonctionner en série, avec deux réservoirs et un tout petit bâtiment « fermé et vide ». Or, « aucune liaison entre les filtres et les bassins » n’a été construite, les systèmes de pompage nécessaires non plus, et les « plantations sont très insuffisantes, voire totalement absentes ». En clair, les « ouvrages sont loin d’être opérationnels », considère le rapport d’audit.

Rencontrés sur place, les représentants des autorités laotiennes ont confirmé que le projet EcoGlobal était pour eux un partenariat mort-né. Pendant cinq ans, la fondation n’a d’ailleurs jamais interagi « réellement » avec eux, ont-ils déploré, expliquant par exemple que le comité technique censé suivre sa mise en œuvre ne s’est tout simplement jamais réuni. Pourtant alerté, le Siaap semble ne s’en être jamais inquiété. Le syndicat n’a même pas pris contact avec la municipalité à l’achèvement de la convention, en 2024. (...)

Sur les rives du fleuve Congo, où une convention similaire a été signée avec les villes de Kinshasa et de Brazzaville en 2019 pour une durée de cinq ans, les installations prévues sont là aussi « très loin d’être opérationnelles », constatent les experts dans leur second rapport.

EcoGlobal a là encore encaissé 1,2 million d’euros pour des résultats peu convaincants (...)

Pire encore : le directeur d’une entreprise congolaise mentionnée comme faisant partie des prestataires du projet a affirmé aux auditeurs n’avoir en fait « jamais travaillé sur le chantier ». (...)

À Brazzaville, sur le site mis à disposition par les autorités, neuf filtres ont été construits dans des conditions sommaires. Les ouvrages, qui ont réclamé un « volume de travaux relativement limité », seraient d’une « mauvaise » qualité et relèveraient même, au niveau de leur conception, d’un « principe de fonctionnement tout à fait hasardeux ». D’après des témoignages recueillis sur place, aucune entreprise générale n’aurait été embauchée pour coordonner le chantier, tandis que les engins et ouvriers étaient employés à la journée. Les maraîchers qui exploitaient le terrain auraient aussi été expulsés dans un contexte de tensions.

Tandis que les autorités locales « apparaissent largement favorables » à la poursuite d’un projet sur le site, le budget global pour finaliser le chantier est évalué par les auditeurs dans une fourchette allant de « 900 000 euros à 1,2 million d’euros ». Soit une somme équivalente à tout ce qui a déjà été versé jusqu’ici. (...)

Où est allé l’argent ?

En creux, ces préconisations mettent en lumière l’extraordinaire passivité du Siaap, qui a aveuglément versé l’argent à EcoGlobal pendant toutes ces années. L’actuelle direction générale, arrivée en 2023, a déclaré avoir découvert le problème lors des premières questions de Mediapart sur le sujet, en novembre 2024, mais la question d’éventuelles responsabilités internes est directement posée, en même temps que celle du mobile de l’opération.

Si les fonds versés par le Siaap à EcoGlobal n’ont en effet pas ruisselé dans les pays concernés, à quoi ont-ils pu servir ? Le dossier relève-t-il de l’enrichissement personnel, de la corruption, voire du financement politique (chaque hypothèse n’étant pas exclusive des autres) ? C’est toute la question sur laquelle se penchent les magistrats du Parquet national financier (PNF) et les policiers de la Brigade financière et anticorruption (BFAC), saisis du dossier. (...)

un ancien collaborateur de Jean-Philippe Henry a raconté à Mediapart que le fondateur d’EcoGlobal s’est vanté à plusieurs reprises de bénéficier d’appuis politiques hauts placés, sur la droite de l’échiquier politique. Vrais soutiens ou pure forfanterie ? Sollicité à plusieurs reprises, l’homme d’affaires reste pour l’instant silencieux.