Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Mediapart
En Allemagne, les conservateurs et l’extrême droite attaquent frontalement la communauté queer
#Allemagne #identite #genre #queer #extremedroite
Article mis en ligne le 18 septembre 2025
dernière modification le 15 septembre 2025

Des mobilisations se sont tenues jeudi 11 septembre à Berlin et dans cinq autres villes, pour défendre la loi sur l’autodétermination du genre adoptée il y a près d’un an, tandis que les violences se multiplient.

Devant le Bundestag, le Parlement allemand, le groupe de deux cents manifestant·es, emmené par l’activiste queer Penelope Frank, paraît un peu léger face à la masse écrasante du bâtiment. Mais le ton de l’oratrice est offensif et déterminé. Ils et elles sont venu·es, jeudi 11 septembre, pour protester contre les attaques grandissantes des milieux conservateurs et d’extrême droite contre les communautés queer et trans. (...)

« Aujourd’hui, le parti d’extrême droite AfD dépose une motion parlementaire qui demande la suppression de la loi sur l’autodétermination de genre et considère la transidentité comme une maladie psychique. De son côté, Alexander Dobrindt [conservateur bavarois – ndlr], un ministre de l’intérieur qui veut généraliser l’emploi du logiciel américain de profilage Palantir par les services de police, a annoncé sa volonté de créer un registre spécial pour tracer les changements d’identité de genre. Et ce par décret, sans le vote des députés ! 1933 vous salue bien… », s’échauffe Penelope Frank sous les applaudissements.

L’activiste rappelle les 250 000 signatures de soutien à la cause déjà obtenues en ligne, ainsi que les mobilisations simultanées qui se déroulent dans cinq autres villes d’Allemagne. Parmi les banderoles et drapeaux, un message rédigé en anglais résume le problème et les craintes des manifestant·es : « Puissiez-vous ne jamais connaître la peur de voir vos droits vous être retirés lors des prochaines élections ! », a griffonné une jeune femme sur un panneau en carton. (...)

Activiste queer qui a joué un rôle majeur dans l’élaboration de la loi sur l’autodétermination du genre (SBGG), Julia Monro évoque notamment le retrait excessivement tardif de la loi qui pénalise l’homosexualité, abrogée après bien des combats en 1994. Ou encore la particulièrement humiliante « loi sur les personnes transexuelles » (TSG), seulement remplacée en 2024 par la SBGG.

« La TSG prévoyait une procédure de changement d’identité de genre, mais seulement sur décision médicale d’un tiers et après avoir été soumis à plusieurs expertises psychologiques humiliantes où l’on vous demandait, entre autres, si vous aimiez les enfants ou si vous aviez des rapports sexuels avec des animaux ! Jamais je ne me serais soumise à cela. J’ai attendu la nouvelle loi pour changer d’identité », explique-t-elle avec écœurement. (...)

La coalition réunissant le Parti social-démocrate (SPD), les Verts et le Parti libéral a pour la première fois nommé un commissaire fédéral aux questions queers, l’écologiste Sven Lehmann. Celui-ci a concocté un Plan d’action pour une vie queer. Cet ensemble composé de 134 petites et grandes mesures a été conçu pour intégrer, rendre visible et protéger les personnes queers et trans au quotidien. Au centre, on trouve la fameuse loi sur l’autodétermination de l’identité de genre entrée en vigueur le 1er novembre 2024, avec laquelle l’Allemagne rejoint le club encore restreint des seize pays disposant de législations similaires*.

Désormais, en Allemagne, il suffit de remplir une déclaration auprès de l’état civil pour changer de prénom et de genre. Pour les mineur·es de moins de 14 ans, les parents ou tuteurs devront effectuer la démarche, et les adolescent·es de 14 à 18 ans pourront le faire directement, mais avec l’accord de leurs parents. Un temps de réflexion est prévu : ce n’est qu’après trois mois que le changement sera validé dans l’état civil. Une demande éventuelle pour changer à nouveau de genre ne sera possible qu’après un an.

Enfin, la loi interdit explicitement la divulgation de ces informations à qui que ce soit sans l’accord de l’intéressé·e. Sous la TSG, entre 2012 et octobre 2024, le gouvernement a recensé en moyenne 2 175 procédures de changement d’identité de genre par an. En novembre et décembre 2024, avec la nouvelle SBGG, elles passent à plus de 10 000. (...)

« La montée de l’AfD, les élections anticipées et le retour des conservateurs au pouvoir sont donc un très mauvais coup pour nous. La loi sur l’adoption n’a pu être modifiée, et la protection des personnes trans n’a pu être inscrite dans la Constitution comme prévu », poursuit Julia Monro. Il a aussi fallu attendre fin mai pour que la députée régionale SPD Sophie Koch soit nommée au poste de « commissaire queer », comme on dit ici. Enfin, lors de l’élaboration de l’accord de coalition, les conservateurs ont réussi à imposer à des sociaux-démocrates pas très mobilisé·es un paragraphe qui prévoit un réexamen et des corrections de la loi SBGG d’ici à 2026.

Les services d’Alexander Dobrindt n’ont pas perdu de temps. Un projet de décret circule déjà. Il prévoit d’adjoindre quelques colonnes au registre de l’état civil avec trois nouveaux champs, pour permettre d’indiquer sous quel sexe la personne était auparavant enregistrée, ainsi que la date et le lieu du changement d’inscription. Selon le ministère, cet ajout n’est qu’un élément technique, qui pourrait être transmis à des autorités telles que l’Office central fédéral des impôts ou l’assurance retraite. En outre, les services municipaux d’enregistrement des domiciles (inexistants en France) doivent être informés de cette modification, par exemple en cas de déménagement.

Une stratégie de polarisation

Pour Penelope Frank, ce projet modifierait dangereusement la loi existante (...)

Seule une opposition décidée des sociaux-démocrates pourrait bloquer le programme d’Alexander Dobrindt. « Mais avant les élections, Lars Klingbeil, le chef du SPD, m’avait promis qu’il n’y aurait rien sur la SBGG dans le contrat de coalition. Or ils ont cédé. Donc nous n’avons pas une grande confiance en eux, surtout dans le contexte actuel », souligne Julia Monro.

Les stratégies de blocage des adversaires de la loi s’appuient de plus en plus sur l’émotion et la désinformation, mais aussi sur la violence, comme le montre le nombre croissant d’attaques contre les marches des fiertés dans toute l’Allemagne.

Le spectre des vestiaires

La récupération du cas du militant d’extrême droite Sven Liebich, qui s’est pourtant fait remarquer dans le passé pour ses déclarations hostiles à la communauté queer, en est un exemple. Condamné à de la prison pour apologie du nazisme, il a changé d’identité de genre en novembre 2024, avec la claire intention de ridiculiser la loi sur l’autodétermination. Sven s’appelle désormais Marla-Svenja. Convoquée au mois d’août pour purger sa peine dans une prison pour femmes de Bavière, Marla-Svenja a finalement choisi la cavale.

Mais pour les conservateurs et l’extrême droite, le cas Liebich arrive à point nommé pour expliquer que la loi ne fonctionne pas, est dangereuse et doit être modifiée. Elle permet aussi d’agiter le spectre de l’envahissement des vestiaires... (...)

À Berlin, la régie des piscines municipales a ainsi annoncé qu’elle ouvrait ses portes à tous et considérait que c’est l’identité de genre légale qui prime pour utiliser ses vestiaires et ses douches, qui disposent de cabines individuelles. Pour sa part, la Fédération des saunas allemands a décidé que la différenciation se ferait sur la base du sexe de naissance. Aucun incident notoire n’a été relevé dans un cas comme dans l’autre. (...)

Dans un document interne de 50 pages, le groupe parlementaire d’extrême droite explique en effet comment le parti compte instaurer une polarisation culturelle forte, notamment avec le parti de gauche Die Linke, cela afin de pousser à gauche le SPD et les écologistes. Mais aussi comment il espère diviser la CDU-CSU pour détruire le cordon sanitaire qui interdit à la droite de collaborer avec l’extrême droite.

Pour cela, diverses méthodes sont avancées. Parmi elles, l’AfD compte systématiquement soumettre des motions et propositions de lois qui plaisent aux franges les plus à droite de l’électorat conservateur, et provoquent panique et division au sein de l’Union conservatrice. C’est exactement ce qui se passe avec la « question queer ».