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The Conversation
Il y a 200 ans, la France extorquait une « indemnité » à Haïti, dans l’un des plus grands braquages de l’histoire – et les Haïtiens veulent des réparations
#Haiti #esclavage #colonialisation #France
Article mis en ligne le 13 août 2025
dernière modification le 10 août 2025

En 1825, la France a extorqué à Haïti une « indemnité » colossale en échange de la reconnaissance de son indépendance. Deux siècles plus tard, les demandes de compensations restent lettre morte.

En 1825, la France a extorqué à Haïti une « indemnité » colossale en échange de la reconnaissance de son indépendance. Deux siècles plus tard, les demandes de compensations restent lettre morte.

En 2002, l’ancien président haïtien Jean-Bertrand Aristide a estimé que la France devait verser 21 milliards de dollars à son pays. La raison ? En 1825, la France a extorqué à la jeune nation une énorme « indemnité », en échange de la reconnaissance de son indépendance.

Le 17 avril 2025 a marqué le 200e anniversaire de cet accord d’indemnisation. Le 1er janvier de cette année, le désormais ancien président du Conseil présidentiel de transition d’Haïti Leslie Voltaire a réitéré cet appel à la France en lui demandant de « rembourser la dette de l’indépendance et d’effectuer des réparations pour l’esclavage ». En mars 2025, la star du tennis Naomi Osaka, d’origine haïtienne, a ajouté sa voix au chœur dans un tweet s’interrogeant sur le moment où la France rembourserait Haïti.

En tant que spécialiste de l’histoire et de la culture haïtiennes du XIXᵉ siècle, j’ai consacré une part importante de mes recherches à explorer le cas juridique particulièrement solide d’Haïti en matière de restitution vis-à-vis de la France.

L’histoire commence avec la Révolution haïtienne. La France a instauré l’esclavage dans la colonie de Saint-Domingue, dans le tiers occidental de l’île d’Hispaniola – l’actuelle Haïti – au XVIIe siècle. À la fin du XVIIIe siècle, la population réduite en esclavage s’est rebellée et a fini par proclamer l’indépendance. Au XIXe siècle, les Français ont exigé une compensation pour les anciens esclavagistes du peuple haïtien, et non l’inverse.

Tout comme l’héritage de l’esclavage aux États-Unis a créé une profonde disparité économique entre Noirs et Blancs, l’impôt sur sa liberté que la France a contraint Haïti à payer – désigné à l’époque comme une « indemnité » – a gravement compromis la capacité du pays nouvellement indépendant à prospérer. (...)

Sous la menace d’une guerre violente et d’un blocus économique imminent, le 11 juillet 1825, Boyer signa le document fatal, qui déclarait :

« Les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue paieront […] en cinq versements égaux […] la somme de 150 000 000 de francs, destinée à indemniser les anciens colons. »

Une prospérité française fondée sur la pauvreté haïtienne

Des articles de journaux de l’époque montrent que le roi de France savait pertinemment que le gouvernement haïtien était à peine en mesure de réaliser ces paiements, la somme représentant près de six fois les recettes annuelles totales d’Haïti. Le reste du monde semblait d’accord sur le caractère absurde de l’accord. Un journaliste britannique nota que le « prix énorme » représentait une « somme que peu d’États en Europe pourraient supporter de sacrifier ».

Contraint d’emprunter 30 millions de francs à des banques françaises pour effectuer les deux premiers versements, il n’est guère surprenant qu’Haïti ait rapidement fait défaut. Pourtant, Louis-Philippe envoya une nouvelle expédition en 1838 avec 12 navires de guerre pour forcer la main du président haïtien. La révision de 1838, qualifiée à tort de « traité d’amitié », réduisit le montant restant à 60 millions de francs, mais le gouvernement haïtien fut de nouveau sommé de contracter des emprunts écrasants pour régler le solde.

Ce sont les Haïtiens qui ont payé le plus lourd tribut à ce vol par la France. (...)

tandis que Christophe développait un système scolaire national durant son règne, sous Boyer et sous tous les présidents suivants, de tels projets durent être suspendus.

De plus, des chercheurs ont montré que la dette de l’indépendance et son impact sur le Trésor public haïtien sont directement responsables non seulement du sous-financement de l’éducation au XXe siècle, mais aussi du manque de soins de santé et de l’incapacité du pays à développer ses infrastructures publiques. (...)

Conscient de la gravité de ce scandale, l’économiste français Thomas Piketty a estimé que la France devrait restituer au moins 30 milliards d’euros à Haïti.

Une dette à la fois morale et matérielle

Les anciens présidents français, de Jacques Chirac à François Hollande en passant par Nicolas Sarkozy, entretiennent un historique de punitions, d’esquives ou de minimisations face aux demandes haïtiennes de réparation. (...)

Conséquences du travail volé

L’écart de richesse raciale qui en résulte n’a rien d’une métaphore.

En France hexagonale, 14,1 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Martinique et en Guadeloupe, en revanche, où plus de 80 % de la population est d’ascendance africaine, les taux de pauvreté sont respectivement de 38 % et 46 %. Le taux de pauvreté en Haïti est encore plus alarmant : 59 %. (...)

Ces dernières années, des universitaires français ont commencé à s’investir de plus en plus dans le débat sur les préjudices de long terme que l’indemnité a causés à Haïti. Pourtant, ce qui revient en pratique à une absence de commentaire a longtemps été la seule réponse du gouvernement actuel de la France sous la présidence d’Emmanuel Macron.

Le 17 avril 2025, jour du bicentenaire de l’ordonnance d’indemnité, Macron a enfin brisé le silence. Dans un communiqué officiel, il a reconnu la « lourde indemnité financière » imposée par la France à Haïti et a annoncé « une commission mixte franco-haïtienne chargée d’examiner notre passé commun et d’en éclairer toutes les dimensions ». Mais il n’a pas abordé la question des réparations.

De nombreux Haïtiens, légitimement, ne s’en sont pas satisfaits : selon eux, la seule initiative de la France qui aurait véritablement de l’importance serait une proposition concrète de compensation économique pour le peuple haïtien.