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Basta !
Karine Jacquemart, en lutte contre « un système alimentaire injuste »
#alimentation #systemeeconomique #inegalites #sante #FoodWatch
Article mis en ligne le 21 septembre 2025
dernière modification le 16 septembre 2025

Comment garantir un accès à une alimentation saine à tous, et pas seulement aux plus riches ? En s’attaquant aux marges de la grande distribution, répond Karine Jacquemart, directrice générale de Foodwatch France. Entretien.

Basta ! : « Si vous contrôlez le système agroalimentaire, vous contrôlez les populations », écrivez-vous dans votre livre Les Dangers de notre alimentation. Qui contrôle le système agroalimentaire aujourd’hui ?

Karine Jacquemart : Si l’on regarde le système mondial, plus de la moitié de chaque segment du système, sur les semences, les céréales, les pesticides, est contrôlé par cinq à six entreprises seulement. Si l’on zoome sur la situation en France, les cinq plus grandes enseignes de la grande distribution, Leclerc, Carrefour, Intermarché, Auchan, Système U [devenu Coopérative U en 2024, ndlr], contrôlent 80 % du marché alimentaire. Dans l’ensemble, 70 multinationales de l’agroalimentaire font la pluie et le beau temps. Danone (Blédina) et Nestlé se partagent par exemple trois quarts du marché de l’alimentation infantile en France. Lactalis et Sodiaal, c’est 72 % des rayons lait français.

Dans le même temps, à un bout de la chaîne alimentaire, des milliers d’agriculteurs et d’agricultrices, 18 % des agriculteurs selon l’Insee, vivent en dessous du seuil de pauvreté. À l’autre bout, plus de 11 millions de personnes sont confrontées à la précarité alimentaire.

Pourquoi parlez-vous de « violence du système » agroalimentaire ?

La violence est quotidienne pour les millions de gens qui reçoivent des injonctions permanentes du type « mangez cinq fruits et légumes par jour » alors même qu’on ne leur permet pas. Car les surmarges des distributeurs de l’agroalimentaire se font précisément sur les fruits et légumes.

Des profiteurs de prix alimentaires privent de fruits et légumes des millions de gens au budget limité. En conséquence, les cadres consomment en moyenne 50% de fruits et légumes en plus que les ouvriers. Et les populations défavorisées souffrent davantage des maladies chroniques comme le diabète de type 2 ou de maladies cardiovasculaires, dont l’alimentation est une des causes principales. (...)

Avec Foodwatch, on a montré que les produits les moins chers dans les supermarchés sont les plus sucrés. Si vous n’avez pas suffisamment d’argent, on vous fait vous diriger vers des produits trop sucrés. C’est ce système qui crée des inégalités.

Comment les autorités répondent-elles face à cette situation ?

Les ministères renvoient en général la responsabilité de l’alimentation sur les individus. L’éducation à l’alimentation, certes, c’est important. Mais ça ne doit pas évacuer la grosse partie du problème : le verrouillage d’un système alimentaire injuste qui crée des maladies chroniques. Il faut continuer à enquêter et démontrer la responsabilité des acteurs comme la grande distribution dans l’orchestration d’un marché à deux vitesses. (...)

Il y a quelques années, une proposition de loi transpartisane portée par des députés déterminés comme Richard Ramos [du MoDem, ndlr] visait à interdire les nitrites dans l’alimentation.

Plus de 300 000 personnes avaient signé une pétition en ce sens en 2022. On compte plus de 570 000 signatures aujourd’hui. En plus, le marché sait faire autrement en proposant des jambons sans nitrites.

Les lobbys de l’agroalimentaire ont bloqué cette loi, mais surtout, les ministères de l’Agriculture et de la Santé n’ont, à aucun moment, soutenu l’interdiction. Ils ont donné raison à l’industrie de la charcuterie industrielle et aux lobbys, et se sont contentés d’engagement volontaire des industriels.

« On descend les doses », promettent ceux-ci. La belle affaire ! Ça leur permet de maintenir un marché à deux vitesses (...)

Foodwatch a récemment montré que deux tiers des promotions dans les supermarchés concernent des produits trop gras, trop sucrés, trop salés. Et que tout est fait pour attirer les enfants vers ce type de malbouffe. Vous essayez d’alerter dans les ministères et racontez dans votre livre un échange sidérant avec Aurore Bergé, alors ministre des Solidarités et des Familles…

(...)

Dans l’alimentaire, je vois une myriade d’alternatives, d’expérimentations très encourageantes comme des épiceries sociales et solidaires ou comme l’association Vrac, qui monte des groupements d’achat dans les quartiers populaires.

Il y a bien sûr les expérimentations de Sécurité sociale de l’alimentation qui réintroduisent de la justice sociale, du commun, du lien surtout. La réalité, ce sont des femmes et hommes qui, sur le terrain, se rencontrent, inventent, construisent des choses – dans le domaine de l’alimentation, mais pas seulement.

Se mettre en action, ce n’est pas rien, et surtout, ça fait un bien fou. Ça nous réconcilie avec les valeurs et la façon de vivre dont on a envie et besoin, et ça réconcilie avec les autres. Cela provoque un effet d’entraînement, de mise en mouvement. Ne sous-estimez pas le pouvoir que vous avez.