Plus de 300 000 personnes sont arrivées en Allemagne ces dernières années dans le but de travailler dans le secteur des soins de santé et de l’aide à la personne.
En Allemagne, le manque de main d’œuvre et les efforts de recrutement à l’étranger sont tels, que les chercheurs parlent d’"industrie internationale de la migration".
Sur les réseaux sociaux, les cliniques soulignent sur le personnel issu de l’immigration est devenu indispensable dans une équipe. Plus de 25 % de la population allemande est elle-même issue de l’immigration, c’est à dire qu’elle a immigré en Allemagne ou qu’au moins l’un de ses parents est né à l’étranger.
Selon l’Agence fédérale pour l’emploi, le secteur des soins en Allemagne s’effondrerait sans l’immigration : "Près d’un aide soignant sur sur quatre dans les maisons de retraite est de nationalité étrangère".
Si l’on regarde l’ensemble du secteur de la santé, une personne sur cinq vient de l’étranger. Et cette tendance est à la hausse. De nombreux aides soignants partent bientôt leur retraite, pendant que d’autres quittent la profession devenue trop pénible.
Le géographe Stefan Kordel, de l’université d’Erlangen-Nuremberg, dans le sud de l’Allemagne, observe ainsi que la migration de main-d’œuvre dans le secteur de la santé s’est fortement professionnalisée.
Une étude sur le bien-être du personnel soignant en Allemagne
Au-délà du personnel infirmier récemment arrivé de l’étranger, de nombreux spécialistes dans les cliniques ou dans les soins gériatriques sont des ressortissants allemands issus de l’immigration. De nombreux médecins et infirmières sont d’anciens réfugiés syriens ou ukrainiens.
Avec le vieillissement de la population, la demande va continuer à augmenter. Se pose ainsi la question du bien-être du personnel soignant pour que sa présence en Allemagne devienne pérenne.
Une équipe interdisciplinaire de chercheurs de l’université Friedrich-Alexander (FAU) d’Erlangen-Nuremberg a donc mené des recherches sur les moyens de retenir le personnel étranger à long terme. Elle a interrogé des soignants, des responsables d’hôpitaux et d’établissements de santé, des départements de ressources humaines, des écoles de langues, des centres de conseil et des agences.
Des recrutements gagnant-gagnant ? (...)
Selon Stefan Kordel, certaines agences profitent toutefois du système pour faire grimper les prix de leurs services : "Certains paient 12 000 euros, contractent des emprunts et rassemblent l’argent de leur famille". Et pour rembourser ces dettes, nombre de recrues dans la santé occupent un deuxième emploi. Stefan Kordel appelle à mieux informer les personnes concernées, mais aussi de mettre en place des contrôles et des sanctions.
Des emplois souvent décevants
Dans de nombreux pays, les soins infirmiers ne sont pas enseignés dans le cadre d’une formation professionnelle comme en Allemagne, mais font plutôt partie d’un diplôme universitaire. Des infirmiers et infirmières recrutés à l’étranger sont ainsi régulièrement déçues en découvrant qu’au lieu d’effectuer des tâches médicales, elles passent la plupart de leur temps à prodiguer des soins de base, à laver les patients ou à leur servir des repas. Dans de nombreux autres pays, ces tâches sont effectuées par des membres de la famille ou des aides-soignants.
La déception est grande lorsque des professionnels de santé formés aux Philippines ne sont pas autorisés à administrer des perfusions ou à poser des cathéters en Allemagne, rapporte Myan Deveza-Grau, de l’organisation philippine PhilNetz : "Ils ne comprennent pas et se demandent pourquoi ils ne sont pas autorisés à faire cela ?"
Apprendre l’allemand : dialectes régionaux et charge de travail (...)
Les chercheurs pointent aussi des difficultés pratiques très spécifiques. Par exemple, certaines équipes infirmières du matin insistent pour que tous les patients soient lavés avant 8h30. Or, lorsqu’une personne doit emmener son enfant à la crèche et ne peut compter sur sa famille vivant à l’étranger, elle ne peut commencer à travailler avant 8h30.
Aussi, dans certaines localités, les réseaux de transport n’opèrent pas le soir. Enfin, il existe un important manque d’appartements abordables à proximité du lieu de travail.
Discrimination et racisme (...)
Enfin, la discrimination à l’égard des minorités existe dans tous les domaines de la vie, comme l’ont également montré d’autres études, que ce soit dans les administrations, les transports publics, dans la rue et sur le marché du logement.
Stefan Kordel rappelle ainsi que c’est à la société dans son ensemble de créer un environnement accueillant pour les travailleurs immigrés. Il rappelle que "avoir vécu de la discrimination et du racisme influence la décision de rester ou de quitter son lieu de travail, son lieu de résidence, voire l’Allemagne".
Le personnel soignant philippin s’inquiète également du populisme de droite et du parti Alternative pour l’Allemagne (AfD), rapporte Myan Deveza-Grau, au point de devenir un argument pour quitter l’Allemagne. D’autant que les options ne manquent pas. Le Canada, par exemple, recrute activement les infirmiers et infirmières des Philippines.
Rester ou partir ? (...)