
La Bolivie possède les plus grandes réserves de lithium au monde, encore peu exploitées. L’État souhaite accélérer, ce qui inquiète la population locale, dont les réserves en eau sont déjà accaparées par l’usine existante.
Dans le sud de la Bolivie, la ville d’Uyuni et ses alentours ont des airs d’Arrakis, la planète désertique imaginée par Frank Herbert dans le roman de science-fiction Dune. Le climat y est particulièrement aride, la végétation rare et l’eau une ressource précieuse. Ici, pas de sable, mais du sel : 10 000 km2 d’immensité salée qui forment le salar d’Uyuni, le plus grand désert de sel de la planète.
Et à la place de l’épice, ressource la plus précieuse de l’univers d’Herbert, on trouve du lithium : 21 millions de tonnes, les réserves les plus importantes au monde de ce métal notamment utilisé pour la fabrication de batteries.
Les rivières et étendues d’eau étant rares et souvent impropres à la consommation humaine. Les populations locales dépendent d’eaux souterraines pour survivre. (...)
Ces maigres réserves sont en plus menacées par l’appétit de l’État bolivien pour le lithium qui se trouve sous le salar d’Uyuni. (...)
deux contrats ont été signés avec des entreprises étrangères : le consortium chinois CBC et l’entreprise russe Uranium One Group.
Ces deux accords, qui promettent 2 milliards de dollars (1,73 milliard d’euros) d’investissements dans le lithium bolivien, sont actuellement dans l’attente d’un vote du Parlement. Celui-ci risque de ne pas intervenir avant les élections présidentielle et législatives du 17 août, au vu de l’absence actuelle de majorité. (...)
très peu de transparence, pas de consultation préalable avec les communautés locales, ni d’étude d’impact environnemental. (...)
En Bolivie, la Constitution établit pourtant que, pour exploiter des ressources naturelles non renouvelables sur un territoire donné, l’État doit obligatoirement mener une consultation préalable auprès des populations concernées. (...)
« Pas une seule personne ne travaille pour YLB ici. Les camions chargés de carbonate de lithium passent sous notre nez, mais en dix-sept ans, nous n’avons jamais touché 1 centime. On se demande où part l’argent », témoigne Donny Ali, ex-membre du comité civique de Rio Grande, qui participe à l’administration du village. (...)
La déconvenue ne s’arrête pas là. YLB a creusé une vingtaine de puits à proximité du village, sans l’aval de la population, et refuse de communiquer sur les quantités d’eau pompées. (...)
Jusqu’à présent, les puits utilisés par les habitants de Rio Grande n’ont pas été affectés, mais certaines zones se sont asséchées. (...)
L’absence de bénéfices, les inquiétudes concernant l’eau et le manque de transparence généralisé depuis le début du projet expliquent la réticence des locaux vis-à-vis de l’arrivée des deux entreprises étrangères. Concernant l’étude d’impact environnemental, l’État bolivien explique qu’elle sera menée une fois les deux contrats votés par le Parlement. « C’est comme mettre ses chaussures avant ses chaussettes, ça n’a aucun sens, commente Ivan Calcina. Une fois que l’argent sera là, il sera trop tard pour freiner les projets. »
Le désert de sel en danger
Ces deux contrats inquiètent également du fait de la technologie qui sera employée. Alors que la première usine utilise des piscines d’évaporation pour récupérer le carbonate de lithium — technique la plus courante pour extraire le lithium des salars, comme en Argentine et au Chili —, les prochaines usines prévoient d’utiliser l’extraction directe de lithium (DLE). Ce procédé permet de récupérer plus efficacement et plus rapidement le lithium des saumures dans lesquelles il se trouve. (...)
En mai, la Cupconl a présenté une action populaire (un recours juridique) contre l’État, demandant l’organisation d’une consultation préalable sur l’exploitation du lithium dans le salar d’Uyuni. Début juin, un juge a rejeté ce recours, sans trancher sur le fond du sujet, arguant que ce type de procédure ne permettait pas de freiner l’examen des contrats par le Parlement. Mais les communautés locales ne comptent pas en rester là : « Nous allons d’abord faire un recours devant le Tribunal constitutionnel plurinational [l’équivalent bolivien du Conseil constitutionnel] et, si ça ne fonctionne pas, nous saisirons la Commission interaméricaine des droits de l’Homme », détaille Calcina. (...)
À l’approche de l’élection présidentielle du 17 août, le lithium est revenu au centre du débat politique bolivien : plusieurs candidats proposent de faire venir des entreprises étrangères pour exploiter le métal, un autre explique qu’il vendra en avance 3 % des réserves afin de ramener 10 milliards de dollars (8,55 milliards d’euros) dans le pays et stabiliser l’économie, mais aucun ne s’est déclaré contre l’exploitation de cette ressource. Un seul propose une exploitation plus équitable pour les communautés locales.
Pour Donny Ali, ils répètent les mêmes erreurs que le gouvernement actuel, dirigé depuis 2020 par le socialiste Luis Arce : « Ils partent du principe que le lithium va sauver la Bolivie de la crise économique, mais nous n’entendons toujours pas parler des bénéfices pour les locaux. »