
Des mères seules avec leurs bébés, des familles avec enfants, des mineurs non-accompagnés : près de 200 personnes, dont beaucoup de profils vulnérables, occupent actuellement la place de l’Hôtel de Ville à Paris. Cette action, coordonnée par l’association Utopia 56, vise à leur trouver un abri et à dénoncer les expulsions et remises à la rue "de plus en plus agressives" depuis les Jeux olympiques.
Une nuit de protestation pour tenter d’obtenir un abri. Sans solution d’hébergement, près de 200 personnes ont décidé de rester sur la place de l’Hôtel de Ville, au cœur de Paris, mardi 5 août au soir. Les sacs pleins de couvertures, de manteaux, de vivres et de produits d’hygiène - les tentes étant filtrées par un cordon policier -, des bénévoles de l’association Utopia 56 ont accompagné cette action visant à alerter les pouvoirs publics. "On ne bougera pas tant qu’une solution pérenne ne sera pas trouvée", martèle Nathan Lequeux, coordinateur de la branche parisienne de l’association, à InfoMigrants.
Après une nuit dehors dans les couvertures, un petit-déjeuner a été distribué ce matin par l’association, tandis que quelques personnes sont parties au travail ou à des rendez-vous dans la capitale. Près de 150 personnes demeurent actuellement sur la place. Le chiffre a grimpé à 230 dans la nuit.
"Nous venons de finir la distribution alimentaire du déjeuner, les températures commencent à monter au soleil, les plus vulnérables commencent déjà à en souffrir", décrit en ce début d’après-midi Nathan Lequeux. "Dès demain, il fera 30 degrés ou plus", s’inquiète-t-il. (...)
Une trentaine d’enfants de moins de trois ans
Parmi ces 90 enfants, Utopiav56 en décompte "une trentaine de moins de trois ans". L’AFP rapporte par exemple le cas de Maria et de son mari, qui dorment depuis un mois dans la rue avec leur fille âgée de seulement quatre mois.
Un tel nombre d’enfants en bas âge, c’est "un ratio rarement vu" depuis qu’Utopia tient sa permanence chaque soir sur cette place pour aider les personnes à trouver un hébergement, précise Nathan Lequeux. (...)
Parmi les occupants se trouvent aussi 11 mineures non accompagnées. Ces jeunes filles étaient jusqu’ici hébergées par Utopia 56. Mais l’été, l’association perd les deux tiers de ses bénévoles et hébergeurs solidaires. L’un de ses principaux hébergements, à Bagnolet (Seine-Saint-Denis), a fermé mardi soir.
Ce manque de places d’hébergements, "on en parle moins l’été, bien qu’il y ait plus d’enfants à la rue", déplore auprès de l’AFP Eleonore Schmitt, coordinatrice du Collectif des associations pour le logement, rassemblant 39 organisations. La responsable accuse aussi les coupes budgétaires. "La suppression de 6 500 places d’hébergement pour les demandeurs d’asile, votée dans la loi de finances 2025, se répercute sur le terrain"
L’été, "une période sous-estimée par les pouvoirs publics"(...)
Mardi soir, plus question de pallier ces manquements des pouvoirs publics. "On n’arrive plus à tenir, alors on se tourne vers les vrais responsables de cette situation", justifie le coordinateur d’Utopia 56.
La préfecture d’Île-de-France, contactée par InfoMigrants, n’a pas donné suite à nos questions. Son cabinet assure à l’AFP qu’il "n’y a pas de fermeture de places d’hébergement liée à la période estivale" et que "le parc d’hébergement francilien reste à un niveau élevé (plus de 113 000 places)". La préfecture de région indique encore que les fermetures de lieux d’hébergement sont "accompagnées d’ouvertures" comme la "quarantaine de places dans [ses] locaux pour les femmes isolées, dont certaines avec enfants". (...)
De son côté, la mairie de Paris indique qu’elle continue d’ouvrir "été comme hiver, des centres pour mettre à l’abri des personnes en famille". Elle précise à l’AFP que "1 063 personnes sont actuellement mises à l’abri dans des lieux municipaux transformés pérennement ou au sein de gymnases de la Ville".
Depuis les JO, des pratiques "agressives" d’expulsion
Lorsqu’une opération de mise à l’abri est conduite, les autorités misent sur les SAS régionaux d’accueil. Ces lieux d’hébergement d’urgence temporaires hors d’Île-de-France ont été mis en place l’été précédent les Jeux olympiques pour désengorger les hébergements de la capitale, alors que le monde associatif dénonçait un "nettoyage social" des rues parisiennes. (...)
"C’est la solution que l’on nous oppose systématiquement, depuis les JO", décrit Nathan Lequeux. Or, "il ne s’agit pas d’une solution adaptée", critique-t-il. Encore moins pour les profils vulnérables présents sur la place depuis hier. D’abord, ces SAS sont temporaires : l’accueil est limité à trois semaines.
Ensuite, "les familles ont leurs enfants scolarisés à Paris, leurs suivis administratifs ou médicaux ici ! Quant aux mineurs non accompagnés, ce n’est pas possible de les héberger dans ces structures pour adultes qui les sortiraient du circuit de reconnaissance de leur minorité." Deux ans après leur ouverture, les dix structures ouvertes en régions peinent à trouver leur public, éclaire une enquête du Monde sur le sujet.
Depuis les JO aussi, les politiques d’expulsion des campements informels franciliens sont de plus en plus "agressives", déplore Utopia 56. (...)
Lire aussi :
– (Utopia 56)
Pour une mise à l’abri des familles et jeunes filles isolées [action en cours]
Il y a un peu plus d’un an, le 1er juillet 2024, Utopia 56 ouvrait un nouveau lieu d’hébergement d’urgence alternatif pour répondre à la situation alarmante des familles et jeunes filles isolées à la rue à Paris.
Ce lieu devait être temporaire. Le temps de l’été, le temps des Jeux Olympiques et Paralympiques, le temps de prouver que quand on veut, on peut et que ce n’était qu’une question de volonté politique.
Chaque soir, nous avons pu accueillir jusqu’à 150 personnes dans cet immeuble vide mis à disposition.
Mais depuis plusieurs semaines, avec le début des congés d’été qui ralentissent (encore) les services publics, et durant lesquels nous avons moins de bénévoles disponibles, face à l’augmentation constante du nombre de demandes, il nous est difficile de maintenir ce lieu ouvert.
Lundi soir, 208 personnes, dont 89 enfants, se sont présentées à notre permanence quotidienne à Paris, dans l’espoir de ne pas passer la nuit dehors. Nos équipes ont dû annoncer à 71 personnes, en grande précarité, dont 14 enfants, que non seulement nous n’avions pas de place pour elles, mais que nous ne pourrions pas non plus assurer le minimum vital pour survivre à la rue, puisque nous n’avions plus de tentes.
Parce que l’État ne les prend pas en charge, toutes ces personnes se rendent à notre permanence en recherche d’un endroit sécurisé où passer la nuit. Nous tentons de trouver une solution pour un maximum d’entre elles grâce à notre réseau d’hébergements solidaires. Mais nous arrivons au point de devoir cesser, au moins temporairement, notre activité d’hébergement, dépassé par une situation humanitaire dramatique et faute de moyens.
Dans ce contexte critique, des centaines de parents, d’enfants, de bébés, des femmes enceintes et isolées, des filles mineures non accompagnées, dormiront donc dehors ce soir, sans aucune solution pour se mettre à l’abri.
Ces dernières semaines, nous avons multiplié les alertes déjà quotidiennes à la Ville de Paris (responsable de l’hébergement des mères célibataires avec enfants de moins de trois ans et de la mise à l’abri des mineur·es non accompagné·es), et à la Préfecture (représentante de l’Etat, responsable de l’hébergement d’urgence sans condition), mais restons sans réponse de propositions de solutions. Il semble qu’aucune réflexion d’ampleur ne soit prévue pour mettre un terme au sans abrisme.
Ces derniers mois, seules des actions de visibilisation ont fait réagir massivement la Ville de Paris, mais jamais l’État, qui reste silencieux. (...)