
Rejeter une bonté fondamentale ne doit pas conduire à sacraliser le mal comme essence humaine. Ce réalisme pessimiste s’enracine dans des contextes historiques — compétitions nationales, guerres industrielles, colonialisme — et révèle moins une nature immuable qu’une idéologie façonnée par la modernité.
Le mal comme principe universel : quand le réalisme est un produit de l’histoire
La philosophie politique réaliste, de Hobbes à Plessner, entretient une méfiance radicale : ne croyez pas à la bonté naturelle, dit-elle, l’humain porte l’agressivité et la conflictualité comme marque constitutive. Mais en renversant l’optimisme naïf, elle risque de tomber dans un excès inverse : ériger le mal en principe universel, comme si la violence et la rivalité étaient la seule vérité de la condition humaine.
Cette vision pessimiste n’est pas neutre. Elle émerge dans des contextes historiques précis :
- La compétition entre États-nations, qui projette la violence interne ou externe comme moteur du développement politique.
- Les guerres industrielles, où la rationalisation technique normalise la destruction de masse et transforme la conflictualité en fatalité collective.
- Le colonialisme, qui justifie la domination et l’exploitation en essentialisant la cruauté et la hiérarchie comme “naturelles”.
En ce sens, le “mal universel” n’est pas un fait biologique, mais un produit idéologique. Il fige la conflictualité humaine pour légitimer des structures de domination, des institutions de contrôle et des régimes de méfiance généralisée.
Penser autrement, ce n’est pas nier la violence ou la conflictualité : (...)
La lucidité, ce n’est pas toujours de répéter que le pire est sûr : c’est aussi de connaître les origines historiques et idéologiques de nos diagnostics, pour leur opposer la possibilité d’instituer autrement.