
Le rappeur Youssef Swatt’s participe à la flottille qui tente de briser le blocus imposé par Israël à Gaza. Face à des « injustices aussi criantes », dénonce-t-il, la neutralité des artistes « devient une forme de complicité ».
Depuis le port de Catane, en Sicile, Youssef Swatt’s a pris la mer pour Gaza. Le rappeur belge de 27 ans, lauréat de l’émission Nouvelle École sur Netflix et auteur de l’EP Chute libre, fait partie des quelque 150 citoyennes et citoyens de la flottille internationale Thousand Madleens to Gaza et la Coalition de la flottille de la liberté, qui tentent de briser le blocus imposé par Israël et d’acheminer une aide humanitaire symbolique à la population palestinienne, confrontée à une famine.
Depuis son voilier Anas al-Sharif, il a accordé à Reporterre un entretien alors que la flottille s’approche des eaux internationales où d’autres navires humanitaires ont déjà été interceptés. Il affirme vouloir passer de la parole à l’action, refusant de laisser ce génocide sous silence.
Reporterre — En tant qu’artiste et citoyen, pourquoi avoir rejoint cette flottille internationale en route vers Gaza ?
Youssef Swatt’s — Comme beaucoup, je me sens parfois impuissant face à ce qui se passe dans le monde, et notamment face au génocide en Palestine. J’ai voulu passer des paroles à l’action. Participer à la flottille, c’est une forme d’action directe, concrète, qui peut vraiment faire bouger les lignes. (...)
Cette initiative vise aussi à mettre en lumière l’inaction des institutions et des gouvernements, et à rappeler, preuves à l’appui, l’illégalité des pratiques israéliennes. Ce que nous faisons est parfaitement légal, au regard du droit international, du droit de la mer comme du droit humanitaire. Nous sommes des citoyens pacifistes, non violents, qui transportent de l’aide. Et la manière dont Israël réagit — en nous arrêtant, en nous empêchant d’accoster — révèle, à elle seule, l’illégalité de ses actes.
À Gaza, on parle à la fois d’« effondrement humanitaire » et d’« écocide ». En quoi cette cause rejoint-elle les combats écologistes ?
Pour moi, c’est très simple. Beaucoup de gens pensent encore que la cause écologiste se résume à l’environnement, à la protection de la planète. L’enjeu, ce n’est pas de sauver la Terre : c’est de préserver le vivant, la santé et la dignité des êtres humains qui y habitent. La planète, elle, survivra. Ce sont les humains qui disparaîtront.
C’est pour ça que la justice écologiste est indissociable de la justice sociale et de la liberté des peuples. (...)
Je tiens à le rappeler : le sujet, ce n’est pas nous, c’est le peuple palestinien. Nous ne sommes pas là pour être leur voix. Les Palestiniens ont toujours eu une voix, et ils ont toujours parlé fort. Nous sommes là pour l’amplifier, parce que trop souvent, personne ne les écoute. (...)
Le vrai problème, ce n’est pas que certains artistes s’engagent, c’est que beaucoup préfèrent se réfugier derrière le mythe de la neutralité. Comme s’il fallait choisir entre faire de la musique et avoir un regard sur le monde. Dans un contexte d’injustices aussi criantes, cette neutralité n’existe pas : elle devient une forme de complicité. Quand on a une visibilité, un micro, on a aussi une responsabilité. C’est pour ça que je trouve la posture « tiède » insupportable. (...)
Il faut en finir avec ce mythe selon lequel s’engager, c’est mettre sa carrière en péril. Comme si prendre position allait nous ruiner ou nous couper du public. Moi, j’ai confiance dans la clairvoyance des gens qui nous écoutent : ils savent reconnaître la sincérité. Je crois qu’aujourd’hui, les artistes qui assument leurs convictions sont justement ceux que le public respecte le plus.
Alors oui, ça peut avoir un coût. Si demain, défendre la Palestine me fait perdre un contrat avec Coca-Cola, est-ce que c’est grave ? Non. Parce que, par conviction, je n’aurais jamais voulu travailler avec ce genre de marque. Le vrai risque, ce n’est pas de s’engager, c’est de se taire. (...)
Beaucoup d’entre nous ont compris que nos États, loin d’être seulement passifs, se rendent parfois complices de ce génocide. Alors ce sont les citoyens qui prennent le relais.
Notre message est simple : on ne détournera plus le regard. Tant que les gouvernements restent silencieux, nous agirons. Aussi longtemps qu’il le faudra, par tous les moyens nécessaires.