
Le ministre Retailleau se situe dans une longue tradition « Algérie française » de la droite hexagonale pour laquelle, depuis 1962, l’Algérie indépendante ne saurait être légitime.
Pendant 124 ans, jusqu’à la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954 – début de la guerre d’indépendance – la grande majorité des Français ont vécu dans une douce illusion, de « La France, quoi qu’il arrive, n’abandonnera pas l’Algérie » (Charles de Gaulle, 18 août 1947)1 à « Les départements d’Algérie […] sont français depuis longtemps et d’une manière irrévocable » (Pierre Mendès France, 12 novembre 1954)2. Cent vingt-quatre ans, et même un peu plus, puisque ce même de Gaulle fut bel et bien porté au pouvoir en mai 1958 par ses amis – parmi lesquels des parachutistes bien décidés à fondre sur Paris – de la mouvance Algérie française.
Seulement voilà : le Général, comme l’appelaient et l’appellent toujours ses thuriféraires, était un homme d’État. S’il tenta de réformer la situation coloniale (plan de Constantine) et de briser la résistance du peuple algérien (offensive meurtrière Challe), il dut se rendre vite à la raison : l’indépendance était inéluctable.
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Le discours de Retailleau sur l’Algérie relève d’une tradition française toujours vivace
Les observateurs de la vie politique française qui ont cru discerner dans le discours de Bruno Retailleau à l’égard de l’Algérie une nouveauté se sont donc lourdement trompés. En fait le locataire de la place Beauvau se situe dans la droite ligne d’une tradition française hélas toujours vivace : le refus obstiné, contre vents et marées, contre l’évidence même, contre ce qu’il est convenu d’appeler le cours de l’histoire, de l’indépendance d’un état algérien au sud de la Méditerranée. Leur combat est certes d’arrière-garde et évidemment perdu, mais il est un obstacle réel à la compréhension, à l’entente et à la réconciliation entre France et Algérie.
Le 9 avril 1955, François Mauriac, qui n’avait rien d’un extrémiste, malgré ses engagements assumés contre les brutalités coloniales, écrit dans son fameux Bloc-notes : « Le désastre indochinois n’est pas digéré, voilà le premier fait. Il existe un cadavre quelque part, dont toute la vie politique française se trouve empuantie et que les assassins cherchent à faire disparaître sans y être encore parvenus »24. Remplaçons « indochinois » par « algérien » et nous aurons une image de l’état du débat français en ce début de XXIè siècle.
Le cadavre de la guerre d’Algérie empuantit toujours l’atmosphère.