Malgré la ratification par l’Union européenne et ses États membres d’un traité antitabac il y a vingt ans, les industriels du secteur continuent de fréquenter assidument les institutions bruxelloise. Et cherchant notamment à ce que le vieux continent fasse pression contre les règles mises en place par d’autres pays, au nom du « libre-échange ».
« Nous voulons forcer la main de l’Union européenne (UE) pour qu’elle respecte enfin le cadre qu’elle s’est fixé », explique Martin Drago, chargé de plaidoyer au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG) Contre-feu. Dans un rapport intitulé « Lobby du tabac : quand l’industrie utilise l’UE pour influencer les politiques de santé dans le monde », celle-ci met en lumière la stratégie d’influence des industriels du tabac et la complaisance des instances européennes. Et ce, en totale contradiction avec un traité signé par l’UE il y a vingt ans.
À travers notamment son article 5.3, la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la lutte antitabac, ratifiée par l’Union européenne et ses États-membres en 2005, exige en effet que les contacts avec l’industrie du tabac soient strictement limités et totalement transparents (...)
Or, c’est tout l’inverse qui se passe. « En 2025, l’industrie du tabac a déclaré avoir participé à plus de 58 consultations publiques et contribué à 56 “feuilles de route” de la Commission européenne », détaillent les auteurs du rapport. Plusieurs de ces actions concernaient directement des réglementations liées à la lutte contre le tabagisme. (...)
Les grandes multinationales du tabac, comme Philip Morris International (PMI), l’entreprise britannique Imperial Brands PLC ou British American Tobacco (BAT), ont particulièrement investi le champ du commerce international via la Direction générale du commerce (DG Trade). Leur objectif : utiliser le pouvoir diplomatique de l’UE afin de saper les politiques de lutte antitabac adoptées par des pays tiers, par exemple en évitant le bannissement des nouveaux produits développés par l’industrie (vapoteuse, tabac chauffé, snus…). La liste des nations ainsi ciblées inclut l’Inde, l’Argentine, le Brésil, le Mexique, le Japon, la Turquie, le Vietnam, Singapour, Taïwan et la Thaïlande.
« C’est un coup de génie, juge Martin Drago. Les lobbyistes disent ne pas agir dans le champ de la santé publique en Europe, mais dans le domaine du commerce, pour éviter de tomber sous le coup du cadre imposé par le traité de l’OMS. Mais leur but reste toujours de nuire à la santé des habitants de pays extérieurs ! » (...)
L’extrême droite attentive aux industriels
Les industriels du tabac ont aussi investi le Parlement européen. Entre 2023 et 2025, Contre-feu a recensé 257 entretiens entre des députés européens et divers représentants d’intérêts de la filière. Les élus d’extrême droite semblent être les plus attentifs aux arguments des industriels : le député danois Anders Vistisen, du groupe des Patriotes pour l’Europe (PfE), les a rencontrés sept fois en deux ans, d’après le registre de l’ONG Transparency International. Côté français, l’eurodéputée du Rassemblement national (RN) Marie-Luce Brasier-Clain a participé à deux rendez-vous : le premier en septembre avec un représentant de Philip Morris International, le second en novembre avec Imperial Brands PLC. Ses collègues RN à Bruxelles Aleksandar Nikolic, Thierry Mariani et Angéline Furet ont chacun rencontré au moins une fois un représentant de la filière.
Le groupe Patriotes pour l’Europe, dont fait partie le RN, a rencontré 19 fois le cigarettier Philip Morris International depuis 2023.
Comme nous l’indiquions dans une récente enquête (lire Quels lobbies les eurodéputés d’extrême droite (et les autres) rencontrent-ils à Bruxelles ?), les Patriotes pour l’Europe ont rencontré 19 fois le cigarettier Philip Morris International, ce qui en fait le troisième lobby le plus consulté par le groupe politique. (...)
Une industrie encore florissante
Leur implantation économique en Italie, Grèce ou Suède permet de faire du chantage à l’emploi auprès des décideurs.
« L’industrie du tabac reste très puissante financièrement », note Martin Drago. D’après le rapport de Contre-feu, elle dépense près de 14 millions d’euros par an dans ses activités de lobbying, soit une hausse de 164 % par rapport à 2012. Ces investissements témoignent de la vitalité du secteur, qui a trouvé une seconde vie dans les produits à base de nicotine ou de tabac chauffé. Certains sont directement produits en Europe, comme en Italie, où Philip Morris a investi il y a quelques années un milliard d’euros dans une nouvelle usine à Bologne. (...)
Pour tenter de limiter cette influence, l’ONG Contre-feu réfléchit à porter le dossier devant un tribunal, face au non-respect de la Convention-Cadre de l’OMS. (...)
Christophe Clergeau appelle quant à lui à une loi encadrant plus fermement le lobbying dans l’Union européenne. (...)
Le Parti populaire européen (PPE) et les Conservateurs et réformistes européens (CRE) ont bloqué le 28 novembre dernier l’adoption d’une résolution non contraignante visant à interdire les nouveaux produits de l’industrie dans certains lieux publics. Un exemple supplémentaire de la nouvelle alliance entre droite et extrême droite qui se structure au sein du Parlement européen depuis plusieurs mois (...)