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Revue la Déferlante
MeToo en Turquie : « Ignorer la parole des femmes, c’est autoriser les violences »
#femmes #Turquie #MeToo
Article mis en ligne le 30 septembre 2025
dernière modification le 27 septembre 2025

Depuis la fin d’août, la Turquie est secouée par une vague de témoignages de violences sexuelles sur les réseaux sociaux. Un MeToo né dans les milieux culturels qui révèle à l’opinion turque le caractère massif des violences sexuelles. Dans un entretien donné à La Déferlante, Funda Ekin, avocate féministe stambouliote et bénévole de la Fondation Mor Çatı, revient sur le contexte politique et juridique dans lequel se développe ce mouvement.

Plus de 5 000 comptes turcs ont publié et relayé des accusations de violences sexuelles sur X dès la mi-août. En tant qu’avocate et militante féministe, comment avez-vous réagi en découvrant cette prise de parole ?

Certains témoignages m’ont mise mal à l’aise, car ils font écho à des expériences personnelles. Je suis aussi inquiète que des procédures pour diffamation soient lancées contre ces femmes. Pourtant, quand on lit les messages publiés, on comprend immédiatement de quels faits il s’agit, car nous sommes beaucoup à avoir vécu des choses similaires, en Turquie ou ailleurs.

À la Fondation Mor Çatı [qui accueille et accompagne les femmes victimes de violence domestique], nous menons depuis des années une campagne intitulée « Crie ! Que tout le monde entende et que cesse la violence masculine ! ». Parce que dans les récits de harcèlement ou d’agression, les femmes sont presque toujours réduites au silence et finissent par culpabiliser. Prendre la parole, c’est se rebeller, alerter les autres femmes et faire appel à leur solidarité.

Quel rôle jouent des associations et des fondations comme Mor Çatı, en Turquie ?

Le collectif Mor Çatı a été fondé en 1990, après une importante marche des femmes contre les violences de genre qui a eu lieu en 1987. L’objectif était de lutter ensemble contre la violence masculine, d’apporter une réponse institutionnelle aux demandes d’aide et aux besoins en matière d’hébergement (la fondation propose aujourd’hui quelques places d’hébergement et dispose d’un refuge indépendant). C’était aussi de mettre en place un accompagnement en partenariat avec des travailleurs sociaux, des psychologues et des juristes, en tenant compte des besoins des femmes et en adoptant une approche holistique. (...)

Quels types de violences voyez-vous le plus souvent ?

En Turquie, la quasi-totalité des dossiers de divorces comportent des violences sexuelles. Les femmes n’ont pas toujours conscience qu’il s’agit de violences, car elles considèrent les relations sexuelles comme un devoir conjugal. De plus, ce sont des cas où il est très difficile, tant sur le plan social que juridique, de porter plainte. Il y a donc peu de signalements, car les femmes pensent qu’elles ne seront pas soutenues et, au contraire, blâmées.

On retrouve aussi très souvent, au sein de couples, des violences d’ordre économique et psychologique. Presque toutes les femmes sont par ailleurs victimes de harcèlement sexuel, dans la rue, dans les transports, ou pendant des concerts par exemple… C’est lié au système patriarcal, au regard porté sur le corps des femmes, jugé en permanence à travers leur tenue, leur attitude, leurs gestes. (...)

ourtant, il existe, dans la jurisprudence turque, un principe plutôt favorable aux victimes…

Le principe de « primauté de la parole de la plaignante » apparaît effectivement dans les jurisprudences de la Cour de cassation et de la Cour constitutionnelle. Dans les cas de crimes sexuels, c’est à l’auteur présumé de réfuter les faits : si le crime n’a pas eu lieu, il doit en apporter la preuve. C’est une forme d’inversion de la « charge de la preuve* ».

Les tribunaux s’attachent avant tout à évaluer si la déclaration de la victime est cohérente (...)

En 2020, la Cour de cassation a utilisé le principe de « primauté de la parole de la plaignante » dans une affaire de harcèlement sexuel impliquant un patron et une secrétaire dans laquelle les faits se sont déroulés sans témoin. Après avoir porté plainte, la secrétaire a perdu son emploi, et l’affaire s’est ébruitée dans tout son milieu professionnel : sa dignité et son honneur sont devenus un sujet de débat. Cela représente un coût énorme dans la vie de la plaignante. Quel intérêt avait-elle à accuser son patron ? La Cour est donc partie de ces réflexions pour faire avancer la procédure.

Personnellement, en plus de vingt ans de métier, je n’ai jamais vu une femme mentir sur ce type de faits.

Qu’est ce que le mouvement MeToo turc peut attendre du système judiciaire ?

En théorie, les procureurs doivent agir dans l’intérêt public et prendre connaissance des infractions lorsqu’ils reçoivent des plaintes. Mais, en Turquie, on ne les a jamais vus s’emparer de révélations publiques de harcèlement ou d’agressions sexuelles. Ils interviennent plus volontiers sur des sujets politiques [liés à des questions de mœurs]. (...)