Préoccupés par la récente gestion des mobilisations lycéennes à Strasbourg, nous parents d’élèves, avons souhaité adresser une lettre ouverte à la communauté éducative mais également, plus largement, à tous ceux que la réponse apportée à ces manifestations lycéennes interroge
Rappel des faits
15 mai 2025 : Manifestation et blocage par des lycéens des lycées strasbourgeois des Pontonniers et de Fustel de Coulanges contre la guerre à Gaza.
Intervention policière au Lycée des Pontonniers : gazage lacrymogène ; plaquages au sol ; coups ; mise en garde à vue d’un lycéen de 15 ans à la suite d’une présentation des forces de l’ordre à son domicile.
10 septembre 2025 : Manifestations et blocages des lycées des Pontonniers, Fustel de Coulanges et Marie Curie en soutien au mouvement « Bloquons tout ». Intervention policière massive.
Au lycée des Pontonniers : gazages lacrymogènes, dont certains à proximité immédiate des élèves, provoquant des séquelles de moyen-terme.
Au lycée Fustel de Coulanges : charge policière doublée de prise à revers par des policiers en civils devant le lycée, plaquages au sol, menottes, sacs déchirés, affaires éparpillées ; mises en garde à vue de quatre lycéens mineurs pendant 24h (nuit au commissariat où l’un des jeunes ne reçoit ni couverture, ni matelas) ; 3 ressortis avec affaire classée sans suite, l’un accusé de rébellion. A noter la mise en garde à vue du même jeune qu’au mois de mai, par le même agent des forces de l’ordre.
11 septembre 2025 : Blocage du lycée Fustel de Coulanges en protestation et soutien aux lycéens toujours en garde à vue.
Intervention policière : charge d’une trentaine de policiers pour une quinzaine de lycéens, arrestation et mise en garde à vue d’une lycéenne (ressortie avec affaire classée « sans suite »). Poursuite des autres lycéens manifestants jusqu’à la gare SNCF où ils sont encerclés, interpellés et fouillés au corps pour certains, avant d’être relâchés. Maintien d’une présence policière à l’entrée du lycée tout au long de la journée.
Pendant la garde à vue : humiliation de la part de policiers et soumission à des invectives sexistes de la part d’autres gardés à vue.
Une réflexion collective s’impose
En France, « l’usage de la force dans le maintien de l’ordre n’est possible qu’en cas d’absolue nécessité ». Cet usage doit être « gradué et toujours réversible » (article de Vie-publique.fr, antenne rattachée aux services du Premier ministre).
En France, les enfants et adolescents ont le droit de se rassembler et de manifester en paix et en sécurité : ce droit est protégé notamment par la Convention Internationale des Droits de l’Enfant de l’UNICEF ratifiée par la France en 1990. Par son article 15, elle garantit aux enfants et adolescents le droit de se rassembler de façon non violente pour exprimer leurs opinions, à travers des manifestations, des défilés, des sit-in, des grèves, des veillées…
Quelle est donc la logique qui justifie cette répression brutale et ces mesures de privation de liberté à l’encontre de lycéens qui n’exercent aucune violence, qui s’expriment en suivant un mode de protestation conventionnel ? Comment l’institution éducative réagit-elle face au molestage de ses élèves devant les lycées ? A quelle place se trouve-t-elle ? (...)
A Strasbourg, le 15 mai comme les 10 et 11 septembre, aux lycées Fustel de Coulanges, Pontonniers et Marie Curie, les charges policières n’ont été précédées d’aucune tentative sérieuse de dialogue avec les lycéens mobilisés, que ce soit de la part de la police ou – ce qui aurait été pleinement leur rôle - de la part des équipes de direction des lycées concernés. Les charges policières et les attaques qui s’en sont suivies ont été décidées alors que les élèves n’exerçaient aucune violence, qu’ils ne commettaient aucune dégradation et ne mettaient personne en danger. L’absence de proportionnalité apparaît donc avérée.
Cet usage de la violence constitue un risque majeur au plan démocratique, celui de rompre la confiance des jeunes dans les institutions. Or, deux institutions nationales fondamentales sont ici en jeu : la Police et l’Education nationale. (...)
les représentants de Education nationale sont, ces temps-ci, singulièrement silencieux, au point de laisser penser qu’ils se déchargent sur la police du soin de gérer les perturbations occasionnées par l’engagement politique et social des élèves dont ils ont la responsabilité de la sécurité. S’il se confirme, ce que nous ne souhaitons pas, cet état de fait est problématique. (...)
Qu’on soit ou non en accord avec eux, ces jeunes réfléchissent, habitent notre monde, tentent d’agir. Ne pas les entendre, ne pas chercher à dialoguer avec eux, discréditer leur engagement, les traiter en gamins irresponsables, voire en criminels, et non en futurs citoyens, est contre-productif et risqué. Quel modèle de société leur offrons-nous en soutenant l’interdiction plutôt que le dialogue et l’échange d’arguments, l’attention, la réflexion et l’écoute ? (...)
Si nous écoutons ces jeunes, ne peut-on pas reconnaitre que leur démarche consistant à se battre, même maladroitement parfois, pour un monde meilleur, est une façon plutôt constructive de faire face à un pessimisme ambiant, particulièrement anxiogène pour leur construction personnelle ? (...)