Il ne faut pas attendre 2049, date fatidique choisie par Wallenhorst pour son nouvel essai. Pour conjurer les catastrophes annoncées, il faut une prise de conscience massive et immédiate, assène-t-il, à rebours du climatoscepticisme ambiant.
Nathanaël Wallenhorst est chercheur en sciences de l’environnement, professeur à l’Université catholique de l’Ouest, et membre de l’Anthropocene Working Group. Avec "Qui sauvera la planète ?" (Actes Sud, 2023), il nous exhortait à une législation forte et urgente en matière d’environnement. Il nous revient avec "2049 : Ce que le climat va faire à l’Europe" (Seuil), qui explore de manière très concrète à quoi pourrait ressembler notre vie quotidienne dans 25 ans, quand les principaux « points de basculement » auront été franchis.
Wallenhorst s’appuie sur les données actualisées de milliers d’articles scientifiques pour explorer des questions très tangibles : aurons-nous encore des saisons ? Comment nous nourrirons-nous ? Où et comment vivra-t-on ? Et même : comment aimerons-nous, travaillerons-nous, migrerons-nous ?
Plus qu’un simple exercice de prospective, l’ouvrage dresse un constat, alarmant mais rigoureux, sur la fragilisation de l’habitabilité humaine de notre Terre, si nous ne changeons pas radicalement nos modèles. (...)
Quel a été votre déclic personnel ?
Je lis chaque jour des savoirs scientifiques, et quelque chose me frappait, non seulement intellectuellement, mais au niveau des tripes : je ressentais le malaise, la souffrance, les émotions des chercheurs. J’ai réalisé que ce qui est en train de se passer est d’une nature autre que ce que j’ai appris à l’école : désormais la logique à l’œuvre est non linéaire, non proportionnelle, c’est une logique de rupture. (...)
Le système Terre est en train de subir toute une série de points de bascule. Ça va ressembler, non pas à une évolution, mais à une explosion. J’aime cette image du ballon de baudruche : on injecte de l’air, le volume augmente de façon proportionnelle – avec le climat, c’est pareil. On souffle dans le ballon jusqu’à ce qu’un millilitre d’air en plus le fasse exploser. Il n’est plus réparable. Jamais. (...)
Il faut partir de nos vies. Un chercheur nous dit : "C’est hyper grave que les coraux blanchissent", mais nous, on s’en fout que les coraux blanchissent, on veut savoir si on aura encore Netflix. Il faut nous dire ce qu’il y a derrière, qu’on puisse s’inquiéter, ressentir.
On parle souvent des fameux 2°, ou 3° à l’horizon 2100…
…et on se dit : "Quelle différence" ? Pour nous, un changement de quelques degrés, ce n’est rien, on fait tomber la veste. Mais il ne s’agit pas de degrés de plus ou de moins, c’est un écart entre des moyennes. 2° d’écart, ça se traduit, lors du pic caniculaire, par une augmentation de… 13°, donc ça fait 55° en France : plus de blé, plus de maïs, fin des récoltes. On mange quoi ? Personne ne sait. (...)
En France, on vient de rejeter la taxe Zucman, qui propose qu’on taxe les milliardaires à 2%. Alors qu’il faudrait aller plus loin, se dire : milliardaires ou smicards, on est des humains. Et comme on est tous des humains et qu’on a de moins en moins de ressources, il faut qu’on consomme tous pareils. Qu’on définisse enfin cette unité de consommation à laquelle on aurait droit, au cours d’une vie humaine. Le fait d’être très riche n’autorise pas à empêcher d’autres, au bout de la chaîne, de se nourrir. Il faut de la justice. (...)
L’inconfort vers lequel on va, ce n’est plus juste avoir chaud ou froid…
Nous n’avons encore rien vu des incidences du climat sur nos sociétés. Le premier élément, c’est la chaleur mortelle, 50.000 personnes en moyenne en Europe occidentale, qui décèdent sous l’effet des vagues caniculaires tous les ans. Autre conséquence : les phénomènes de sécheresse éclair se multiplient, avec une baisse drastique de rendement agricole, voire une mort des cultures à court terme. (...)
Un autre exemple, l’eau. (...)
Vous citez des lieux qui risquent de disparaître progressivement : écoles, hôpitaux, magasins, moyens de transport. Mais également des activités qui semblent évidentes : boire, manger, respirer…
Aujourd’hui, 4 milliards de personnes vivent, pendant au moins un mois dans l’année, une pénurie grave d’accès à l’eau. Et pourtant, les humains ne sont pas installés partout : on est surtout à certains endroits très spécifiques où la température moyenne annuelle se situe entre 11 et 15 degrés. Ça ne veut pas dire que 3 milliards de personnes vont migrer, certains vont le faire, et puis les autres vont… vivre dans des conditions extrêmement difficiles. (...)
On est proche de la métaphore du vase et du socle. On a un très beau vase, très précieux, sur son socle. Quelqu’un se met à taper sur le socle. "C’est pas grave, je ne touche pas au vase, c’est juste le socle, laisse-moi me défouler". Mais le socle, c’est le système Terre.
Et le vase, c’est nous : infrastructures, niveau de vie, technologie, confort, institutions, richesse ?
Nous sommes en train d’attaquer le socle sur lequel nos sociétés se sont encastrées, qui est biogéophysique, qui est cet équilibre entre le climat et les écosystèmes de la biosphère.
Est-ce qu’il faut apprendre à penser autrement ?
Il faut qu’on fasse avec du "moins". Beaucoup de "moins". Or on a l’impression d’être en pleine compète au niveau mondial, on est dans une course, on ne va quand même pas tous s’arrêter de courir ? Éh bien, si. On attend tous secrètement un leadership mondial qui aurait le courage de dire : moi je veux pérenniser l’avenir. Mais qui aura le courage de se lancer ?