Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Basta !
« Nous sommes la relève » : des demandeurs d’asile lancent leur ferme en maraichage à Rennes
#agriculture #migrants #immigration #Rennes #solidarites
Article mis en ligne le 11 juillet 2025
dernière modification le 8 juillet 2025

Se ménager une place dans une société qui leur interdit de travailler, sortir des tracas du quotidien, se sentir utile, nourrir les plus vulnérables : voici, résumé en quelques mots, le projet agricole d’Eddy Valere, Justine, Kassiri, David, Bena et une dizaine d’autres personnes en demande d’asile, âgées de 18 à 46 ans et vivant à Rennes.

En cette fin juin caniculaire, iels vont et viennent sur la parcelle d’un hectare que leur prête un agriculteur installé au nord de la ville. Justine et Bena terminent d’arroser les plants de poireaux tout juste mis en terre, Kassiri aménage des tuteurs pour les tomates tandis que David travaille le sol.

Poireaux, courgettes, piments, pastèques (...)

L’un des objectifs de ce projet agricole collectif est de venir en aide aux plus vulnérables – personnes à la rue, sans papiers, précarisées… – en leur proposant des produits alimentaires de qualité. Pour le moment, la production est en partie donnée aux Restos du cœur, en partie auto-consommée.

Assis·es le temps d’une courte pause près des citernes d’eau qui leur permettent d’irriguer leurs cultures, les participant·es expliquent leur démarche. « S’intégrer en France, ce n’est pas facile, commence Eddy Valère. Sans titre de séjour, nous n’avons pas accès au monde du travail. Errer en ville, ce n’est pas une bonne idée. Quand on reste sans rien faire, on a de mauvaises pensées. »

Arrivé·es en Europe au terme de voyages périlleux et épuisants, au cours desquels leurs compagnons d’infortune ont parfois perdu la vie, Eddy Valère, Justine, Kassiri, David et Bena se sont rencontré·es dans les centres de distribution alimentaire, dans les parcs où iels doivent dormir depuis de longs mois, ou à l’entrée des bâtiments publics qu’iels ont parfois squattés avant d’en être délogé·es par la police. (...)

Solidarités agricoles

« Notre idée de ferme collective vient de notre désœuvrement, continue Eddy Valère. Nous n’avons pas le droit de travailler car nous n’avons pas de papiers mais nous voulons nous rendre utiles. Nous avons d’abord proposé à la mairie de l’aider à avoir une ville plus propre mais nous n’avons pas eu de réponse. Nous avons alors eu cette idée de production agricole. » Plusieurs des personnes actives dans le projet viennent de familles d’agriculteur·rices et ont donc des compétences en polyculture-élevage, mais aussi en maraîchage. Très déterminé·es, les membres du collectif ont réussi à trouver cette petite parcelle de terre d’un hectare mise à disposition avec un accès à l’eau.

Averti du projet au détour d’une manifestation « antifa » rennaise, Grégory – éleveur – est venu avec son tracteur « pour labourer et passer un coup de herse pour que le collectif puisse semer derrière ». Il a aussi amené une tonne à eau, des tuyaux et quelques paires de bottes, et se tient informé des besoins des maraîcher·es migrant·es via le collectif

Campagnes ouvertes et solidaires.

Ce collectif rural fait partie des mille et une initiatives qui ont fleuri en France il y a un an, suite aux inquiétants résultats de l’extrême droite aux élections européennes et à la perspective des législatives consécutives à la dissolution. (...)

« Le monde rural est un lieu de développement de l’extrême droite, explique Maxime. Ce sont donc pour nous des territoires de lutte importants. » Après les élections de l’année dernière, son collectif s’est donné rendez-vous chaque lundi dans des communes différentes pour un moment de convivialité autour d’un barbecue partagé. L’objectif : « Faire exister dans les campagnes un autre discours que celui du repli et de la haine, résume Maxime. L’un de nos moyens, c’est de développer des actions de solidarité très concrètes. Par exemple en aidant ce collectif autonome de migrant·es. » (...)

Grâce aux réseaux ruraux et agricoles, les brouettes, binettes, fourches, pelles, couteaux et autres matériels inusités ont été sortis des hangars et greniers. « Nous avons aussi reçu du fumier et des plants », se réjouissent les néo-maraîcher·es, qui projettent d’installer une serre dès qu’iels en trouveront une. « Nous aimerions aussi avoir plus de filets pour protéger nos cultures et des petits pulvérisateurs à dos », expliquent-iels. Et pourquoi pas, si possible, un tracteur…. Une cagnotte a été mise en place pour réunir les fonds nécessaires.

Se former et tenir bon (...)

Peu après le lancement de leur projet, iels ont dû changer de parcelle, car la première jouxtait d’un peu trop près les terres d’un voisin « qui ne voulait pas croiser de gens de couleur », rapporte Eddy Valère. Mais toustes ont décidé de tenir bon et de continuer à parcourir deux fois par jour les 45 minutes de marche qui séparent la parcelle de leur arrêt de bus, lui-même situé à 30 minutes de Rennes. Loin de l’agitation de la ville, la parcelle est devenue pour le groupe un endroit essentiel.

Béna, infirmière de profession, ne peut pas exercer son métier en France faute de papiers.

« J’avais besoin de quelque chose de concret, c’est ça qui m’amène ici, dit David. Après les journées de travail ici, tu dors. » Or, trouver le sommeil est une petite victoire pour ces apprenti·es agriculteur·rices soumis·es à un état de stress permanent : logé·es en tente, dans la promiscuité, depuis des mois, en attente de régularisation. « Le premier jour, on a planté des tomates et des poivrons. Je me retrouvais comme au pays », dit Béna, infirmière de profession, qui ne peut pas exercer son métier en France faute de papiers. Elle est habituée depuis toute petite à plonger les mains dans la terre.

Ni elle ni aucun·e de ces maraîcher·es n’imaginait se retrouver ainsi, avec des bottes aux pieds. De l’autre côté de la Méditerranée, les métiers de la terre sont tout autant dévalorisés qu’ici. À tel point que, pour le moment, ce projet agricole est tenu secret de leurs familles. (...)

réalisant que près de la moitié des agriculteur·rices français·es vont partir à la retraite d’ici quelques années, iels déclarent : « Eh bien voilà, nous sommes la relève. »