
Le célèbre opposant russe Oleg Orlov a fait de son procès une tribune pour dire au monde le fascisme du régime de Vladimir Poutine. Libéré lors d’un échange de prisonniers en 2024, il revient en détail, pour Mediapart, sur sa détention et ses combats.
Être auréolé d’un prix Nobel – décerné en 2022 à l’organisation qu’il a cofondée, Memorial – et d’un prix Sakharov n’empêche pas de garder un solide sens de l’humour. Lorsqu’on demande à Oleg Orlov d’envoyer des photos de ses archives personnelles retraçant quarante années de lutte pour les droits humains, l’opposant de 72 ans ne peut s’empêcher de glisser, au milieu de souvenirs de la guerre de Tchétchénie et de ses manifestations interdites sur la place Rouge, quatre clichés de ses meilleures prises de pêche. (...)
Ce biologiste de formation a commencé le militantisme en 1979, en imprimant sur un hectographe fabriqué de ses propres mains des tracts contre la guerre soviétique en Afghanistan. Quarante-six ans plus tard, Oleg Orlov a l’engagement intact. Il a été de toutes les causes ou presque. À la fin des années 1980, il cofonde Memorial, qui documente la répression politique en URSS. Orlov y travaille à l’amélioration des conditions de détention dans les prisons soviétiques sans savoir qu’il sera un jour jeté à son tour dans ces geôles.
En 1995, il intervient comme négociateur afin d’obtenir la libération de 1 500 otages détenus dans un hôpital par un groupe de combattants tchétchènes. Il se rend de lui-même au groupe terroriste, avec d’autres négociateurs, afin d’assurer la libération des otages. En 2007, il est enlevé et battu par un groupe d’hommes masqués en marge d’un rassemblement d’opposition en Ingouchie – vraisemblablement des membres des services spéciaux. Déjà, son travail gêne. (...)
Il le poursuit en Tchétchénie, en Ingouchie et au Daghestan. Lors de l’invasion de l’Ukraine, en février 2022, il a 68 ans. (...)
Il se rend sur la place Rouge, souvent seul, armé de pancartes : « Paix en Ukraine, liberté en Russie », « Notre refus de connaître la vérité et notre silence nous rendent complices du crime ».
Perquisitions, inscriptions menaçantes sur la porte de son domicile : la pression s’intensifie. Il est poursuivi en justice pour avoir « discrédité de façon répétée » les forces armées russes, notamment dans un article publié dans le Club de Mediapart où il qualifie la Russie de Vladimir Poutine de « fasciste ». « Je ne regrette rien et je ne me repens de rien », déclare-t-il à la fin de son second procès. Condamné à deux ans et demi de prison, il est finalement libéré au bout de six mois, à la faveur d’un échange de prisonniers. (...)
deux mois après sa libération, Oleg Orlov était en Ukraine, près du front, afin d’apporter sa pierre à l’immense édifice de documentation des crimes de guerre russes. (...)
Quand j’ai été arrêté, il y a un an et demi, je pensais qu’on ne pouvait pas être dans une dictature fasciste plus que ça. Mon procès, entre autres, l’avait manifesté de façon claire et sans ambiguïté. Mais tous les jours, on franchit une nouvelle étape. Il y a deux jours encore, ils ont adopté une nouvelle loi qui criminalise les recherches sur Internet de tout contenu que le régime considère comme « extrémiste » – le fait d’avoir effectué une recherche, même sans cliquer sur le résultat, sera passible de poursuites.
Lors de la discussion de cette loi, le seul député qui a dit que ça n’était peut-être pas une bonne idée était un député du Parti communiste. Il a cité 1984,de George Orwell, en disant que cette loi revenait à criminaliser la pensée. Ce qui est très drôle, bien sûr, puisque Orwell parlait dans son roman du régime communiste tel qu’il était à l’époque. Notre pays ne manque pas de choses ironiques.
Quant au « prix que j’ai payé », comme vous le dites, en réalité il était très léger par rapport à beaucoup d’autres.
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S’il y a bien une chose qui me réjouit un peu au milieu de ces années terribles, c’est qu’effectivement, l’État russe m’a fait cadeau non pas d’un mais de deux procès, que j’ai pu utiliser comme des tribunes.
Comme on m’accusait de discréditer la parole officielle, j’ai pu expliquer en détail, lors du premier, pourquoi j’avais raison [de parler de régime fasciste – ndlr]. Ça a duré des semaines, et à chaque session j’ai pu apporter des arguments, des documents, des articles, des chiffres sur le nombre de morts, parler de cette guerre d’agression… J’ai pu dire tout ce qu’il est complètement interdit de dire en Russie actuellement.
Cela est devenu une source d’informations pour beaucoup de gens.
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Il me semblait très important que des représentants du pays agresseur aillent sur place pour documenter ces crimes. Que ce ne soient pas seulement les Ukrainiens mais aussi nous, citoyens de la Russie, qui accusions notre pays de ces crimes, documentés par nous-mêmes.
On ne prétend pas ouvrir les yeux du monde sur quelque chose qui n’aurait pas encore été documenté : un travail gigantesque a été fait par les défenseurs des droits humains ukrainiens. Mais c’est notre petite participation à ce travail commun.
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je pense que Donald Trump est un prédateur impérialiste tout à fait de la même trempe que Poutine. Ça n’est pas très étonnant que Trump ait une certaine admiration pour lui. Je pense que Poutine peut se permettre des choses que Trump ne peut pas encore se permettre, mais dont probablement il rêve déjà.
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