
L’intersyndicale a appelé à une journée de manifestations dans toute la France pour tenter de peser sur les choix budgétaires du nouveau Premier ministre. A Paris, le cortège est particulièrement important. Gaëlle Fonseca nous fait le point sur ce qui se passe dans la capitale.
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– (France3)
Partie de la place de la Bastille en début d’après-midi, la tête du cortège de la manifestation parisienne est arrivée place de la Nation, un peu avant 18 heures. Quelques heurts ont éclaté avec les forces de l’ordre le long du parcours.
Une mobilisation massive et beaucoup plus importante que lors du 10 septembre partout en France. A 18 heures, le ministère de l’Intérieur dénombrait plus de 500 000 manifestants en France, dont 55 000 à Paris. La CGT annonce, elle, plus d’un million de participants en France. A titre de comparaison, le 10 septembre, il y a eu "près de 250 000" personnes mobilisées selon la CGT, 197 000 selon le ministère de l’Intérieur.
Parmi les manifestants, des retraités, des fonctionnaires ou encore des étudiants, tous en colère contre la politique d’austérité. (...)
"C’est la casse générale, je suis très en colère", déplore de son côté Charlotte, 54 ans, qui exerce dans le secteur de la protection de l’enfance et n’a pas souhaité donner son nom de famille. Elle se dit "profondément écœurée et fatiguée par le contexte actuel".
Damase Mouralis, 52 ans, professeur d’université, est là "pour des raisons politiques", regrettant la non-nomination d’un Premier ministre de gauche, et "contre le budget d’austérité".
Interrogée par notre journaliste sur place Toky Nirhy-Lanto, Marie, elle, âgée de 23 ans craint "pour ses droits au chômage et la hausse du coût de la vie. Je suis vendeuse et je gagne le smic. J’envisage de partir car ça devient impossible de vivre à Paris".
31 interpellations à Paris (...)
D’après le ministère de l’Intérieur qui vient de dévoiler son dernier bilan établi à 18 heures, les autorités ont recensé 181 interpellations dont 31 à Paris. 11 forces de l’ordre, 10 manifestants et un journaliste de France Télévisions ont été blessés. (...)
Des manifestants s’introduisent à Bercy
Plus tôt dans la journée, un groupe de manifestants s’est introduit dans l’enceinte du ministère de l’Économie et des Finances de Bercy, à Paris, quelques heures avant le départ du cortège parisien, selon Sud Rail et des images consultées par l’AFP.
"Aucune dégradation" n’a été commise d’après la préfecture de police. "Les manifestants sont ressortis spontanément au bout de quelques minutes". Selon le syndicat, ils étaient 300, cheminots de la gare de Lyon, agents de la RATP et étudiants, à avoir pris part à cette intrusion. (...)
Des lycées et des universités bloquées
D’après l’Union syndicale lycéenne (USL), principal syndicat lycéen, une "douzaine de lycées" ont été bloqués en Île-de-France. (...)
– (Mediapart)
Avec environ 500 000 manifestants, la journée du 18 septembre n’a pas attiré autant qu’espéré. Mais partout en France, dans toutes les classes d’âge, la colère est unanime contre les choix de l’exécutif. Et l’espoir de voir l’État davantage « taxer les riches » est tenace. (...)
« Qu’ils arrêtent de faire la sourde oreille », lançait tôt dans la matinée de ce jeudi 18 septembre Farida, concierge marseillaise de 61 ans, à l’attention d’Emmanuel Macron et du nouveau premier ministre Sébastien Lecornu, déplorant devoir travailler encore six ans pour pouvoir toucher une retraite à peine convenable. « Je participe volontiers aujourd’hui pour dénoncer Macron, sa politique, le fait qu’il n’écoute jamais le peuple », confiait dans l’après-midi à Paris Philippe, agent de la fonction publique territoriale, défilant sous les couleurs de la CFDT.
À Grenoble, c’est Lou*, infirmière libérale depuis cinq ans, qui relatait sa perte de confiance en l’hôpital public, où elle a longtemps pratiqué, mais qu’elle a quitté, épuisée par le manque de moyens et l’absence de reconnaissance : « On n’a pas déserté l’hôpital pour fuir le service public, mais pour continuer à faire notre métier avec un peu plus de dignité. »
Partout en France, la mobilisation – lancée depuis la première fois depuis 2023 à l’appel de l’intersyndicale au grand complet – a reflété cette rage de voir les services publics détricotés un à un, au nom des économies à réaliser. (...)
Près de 600 actions et manifestations ont été recensées. « Stop à l’austérité, uni·es pour une justice sociale, fiscale et environnementale », clamait la banderole de tête de la manifestation parisienne, qui s’est élancée depuis la place de la Bastille vers 14 heures.
Un slogan attrape-tout, certes, mais qui résume l’état d’esprit de tou·tes les manifestant·es à qui Mediapart a donné la parole tout au long de la journée. « Tout ce qui a été gagné par nos parents et nos grands-parents est piétiné par la puissance du fric », crache Liliane, éducatrice à la retraite à Nantes.
L’espoir est réel de peser contre le « musée des horreurs » des mesures d’austérité présentées cet été par François Bayrou, et que Sébastien Lecornu, nouveau premier ministre, n’a pas encore toutes écartées dans le cadre du budget qu’il doit présenter dans les semaines à venir.
« Aujourd’hui, on lance un avertissement très clair au gouvernement et au premier ministre Sébastien Lecornu, qui nous dit être ouvert à la discussion », a déclaré la secrétaire générale de la CFDT, Marylise Léon. « Il est temps qu’aujourd’hui, le gouvernement nous dise : “OK, on a capté le message, on va prendre des décisions en conséquence” », a-t-elle insisté.
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, s’est pour sa part lancée dans une liste éloquente : « Nous voulons savoir si le doublement des franchises médicales va être enterré. Nous voulons savoir si la réforme de l’assurance-chômage va être enterrée. Si la baisse des pensions, [celle] des prestations sociales vont être enterrées. Nous voulons savoir si la suppression de postes dans la fonction publique va être enterrée. »
Ces questions ont animé les nombreux rassemblements, aux rangs fournis. (...)
Dans les services publics, les grèves étaient au diapason. À 14 heures, 10,9 % des agent·es de la fonction publique d’État étaient en grève, principalement dans l’Éducation nationale – selon le Snes-FSU, principal syndicat du secondaire, 45 % des professeur·es étaient grévistes dans les collèges et lycées, et le FSU-SNUipp, principal syndicat du primaire, avait annoncé la veille qu’un tiers des enseignant·es du premier degré seraient absent·es.
Et si les TGV ont circulé presque normalement, les perturbations ont été nombreuses sur le réseau Intercités. Quant au métro parisien, seules les lignes automatiques (1, 4 et 14) ont roulé toute la journée. Les autres n’ont assuré le trafic qu’aux heures de pointe.
EDF a aussi annoncé une baisse de charge dans ses centrales de l’équivalent de quatre réacteurs nucléaires (la France en compte 57). Le secteur des industries électriques et gazières est mobilisé, à l’appel de la CGT, depuis le 2 septembre pour une hausse des salaires et un abaissement de la fiscalité de l’énergie pour les consommateurs et les consommatrices. Pour cette journée, la CGT revendique « plus d’un agent sur trois en grève ».
Des blocages évacués sans ménagement
La journée a été principalement rythmée par des défilés traditionnels, mais à l’image des actions du 10 septembre, de nombreux blocages ont aussi été organisés dès l’aube, et ont été régulièrement démantelés sans ménagement par les forces de l’ordre. (...)
Les actions ont été « moins intenses que prévu », a estimé le ministre démissionnaire de l’intérieur Bruno Retailleau à la mi-journée. Ce qui n’a pas empêché les coups d’éclat, comme la spectaculaire entrée d’une centaine de syndicalistes de Sud Rail dans la cour du ministère de l’économie, dans le XIIe arrondissement de Paris, venus en voisins de la gare de Lyon, fumigènes au poing. (...)
À Marseille, la circulation dans le tunnel Saint-Charles a été empêchée pendant de longues minutes. Une méthode inhabituelle, résultat de l’« expérience des retraites », indique Patrick Rué, secrétaire général de FO territoriaux dans la ville : « Après quatorze jours de grève, on est repartis une main derrière, une main devant. »
Des opérations escargots ont eu lieu sur plusieurs axes du pays, par exemple autour de Lille et d’Arras, dans le Var sur l’A57, à l’entrée de Nantes ou autour de Poitiers, de Limoges et de Chambéry.
Soixante-quinze blocages complets ou partiels de lycées ont aussi été menés, selon le ministère de l’éducation nationale. Au lycée Pasteur de Lille, les élèves se sont organisé·es avec succès, tout comme au lycée Ravel, dans le XXe arrondissement de Paris, où 300 personnes ont empêché l’accès aux grilles.
« Même dans le IIIᵉ, on se mobilise », s’est réjouie la trentaine d’élèves tenant le pavé devant le lycée Victor-Hugo, au cœur d’un quartier chic de la capitale. (...)
Partout, jeunes et taxe Zucman
La participation de jeunes manifestant·es à toutes les formes de mobilisation de la journée est un point commun partout dans le pays. « Ça fait plaisir de voir autant de jeunes, c’est la première fois que je vois autant de jeunes de l’extérieur », se réjouissait Cédric Otlet, délégué syndical CFDT sur le piquet du dépôt de bus de Villeneuve-d’Ascq.
À Brioude, petite ville de 6 500 habitant·es dans le nord-ouest de la Haute-Loire, on n’entendait pas beaucoup de slogans dans la matinée, mais des beats de rap, des chants et des rires à foison. La jeunesse avait pris les commandes, soit quelque 80 élèves survoltés du collège-lycée public Lafayette, secondés par autant de militants syndicaux et autres « tout bloqueurs ».
« On est des laissés-pour-compte. L’argent de l’État est dilapidé dans des secteurs moins importants que l’éducation », clame Verane, élève de seconde, qui participe à sa première manifestation. Milie, en terminale littéraire, déplore, elle, les classes pléthoriques – 35 élèves dans la sienne –, les emplois du temps surchargés – « des journées de sept ou huit heures, comme les salariés ».
Tom, 20 ans, en licence de sociologie à l’université Paris-Cité (UPC), vit la précarité au quotidien. Boursier échelon 6 (il touche 550 euros par mois), il n’a toujours rien perçu depuis la rentrée. (...)
Autre point commun, l’omniprésence dans les esprits de la taxe Zucman, nouveau totem de la gauche visant à taxer les ultrariches à 2 % de leur patrimoine. « Je suis maladivement contre », a confié à Mediapart un proche d’Emmanuel Macron. « Taxer les riches, ça ne leur fera pas de mal, rétorque dans le défilé parisien Sylvain, plaquiste de 52 ans. On crève de faim, on finit les mois avec presque rien. Même si l’idée de nous retirer deux jours fériés a été abandonnée, rien n’est fait pour nous aider. »
Attac rencontre un certain succès avec ses affiches de Bernard Arnault affublé d’une tenue d’aérobic tout droit tirée des années 1980, l’exhortant à se livrer au « fiscal fitness » (...)
Services publics à la dérive
À Marseille, Lucas, 32 ans, y croit : « On parle de moins de 2 000 foyers extrêmement riches. » Selon lui, cette taxe aurait « encore plus de sens à Marseille », où 200 000 personnes, 23 % des habitant·es, vivent sous le seuil de pauvreté. (...)
À Lille, keffieh sur les épaules, Farida, auxiliaire de vie sociale (AVS), ne voit justement pas la trace de cette justice. « Je trime et je travaille avec les personnes âgées qui sont de plus en plus pauvres, elles n’ont même plus de quoi s’acheter des couches », glisse-t-elle.
Non loin, Jacky, 65 ans et une petite retraite, tient une pancarte s’adressant aux responsables politiques : « Vivez avec le smic ou la retraite minimum et vous comprendrez. » (...)
Partout en France, ce sont les soignant·es qui expriment peut-être le mieux la précarité qui s’est installée dans le pays, à toutes les échelles. « On nous demande de revenir sur nos jours de repos, tout en nous prévenant qu’on n’est pas sûrs d’être payés, faute de budget », décrit Valérie*, infirmière au CHU de Grenoble. « On continue à fermer des lits, à supprimer des emplois, et on nous dit qu’il faut encore faire des économies parce qu’on est en déficit. Mais on est en déficit à cause de qui ? », interroge Aicha Haccoun, infirmière et secrétaire CGT de l’hôpital Saint-Antoine, à Paris.
À Brioude, les manifestant·es ont convergé devant le centre hospitalier, en proie à de graves difficultés financières. Une grève y est menée depuis plusieurs jours, sans que le personnel soit autorisé à quitter son poste. En cause, la réouverture programmée, le 29 septembre, d’une dizaine de lits fermés après la crise du covid. Bonne nouvelle ? Non, car la réouverture est prévue à effectifs constants. (...)