
Après avoir promis de reconnaître l’État palestinien en septembre, la France co-préside cette semaine à New York une conférence onusienne pour entraîner d’autres pays dans son sillage. Loin du soutien "inconditionnel" à Israël affiché au lendemain du 7-Octobre, la diplomatie française change de braquet. Pourquoi ce tournant, et pourquoi maintenant ?
La France parviendra-t-elle à entraîner d’autres nations dans son sillage ? Sous sa présidence et celle de Riyad, plus d’une centaine de pays se réunissent dans l’enceinte des Nations unies, du 28 au 30 juillet. L’objectif : enclencher une dynamique en faveur de la reconnaissance de l’État de Palestine.
Quelques jours plus tôt, jeudi 24 juillet, Emmanuel Macron faisait une annonce : la France franchira elle-même ce cap en septembre prochain, depuis l’Assemblée générale des Nations unies.
Face à Israël, la diplomatie du grand écart
Un grand écart diplomatique, eu égard aux positions françaises d’octobre 2023, après les massacres commis par le Hamas sur le sol israélien.
En visite en Israël, Emmanuel Macron avait alors assuré à l’État hébreu un soutien "inconditionnel". Il avait surpris les Israéliens eux-mêmes, en appelant à une coalition internationale visant à détruire le Hamas.
Un an plus tard, en novembre 2024, la diplomatie française refusait d’appliquer au Premier ministre israélien le mandat d’arrêt émis contre lui par la CPI. (...)
Un changement de cap s’est opéré pourtant à bord d’un avion présidentiel, le 9 avril 2025 : de retour d’Égypte, Emmanuel Macron annonçait que Paris reconnaîtrait la Palestine "dans les prochains mois".
L’Élysée et le Quai d’Orsay y avaient alors posé plusieurs conditions. Parmi elles, la "démilitarisation du Hamas", la libération des otages israéliens ainsi que le "renouvellement de l’Autorité palestinienne".
Réclamer la démilitarisation du Hamas sans en faire une condition
Ces prérequis ne sont toujours pas remplis, arguent les détracteurs de la récente promesse d’Emmanuel Macron. Certes considérablement affaibli par la guerre israélienne, le Hamas administre toujours officiellement Gaza, où il détient toujours 49 otages (dont 27 déclarés morts par l’armée israélienne).
Aujourd’hui, Emmanuel Macron réclame toujours "la démilitarisation" du Hamas, mais cesse d’en faire une condition, analyse Adel Bakawan, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales.
La diplomatie française s’était "coincée", en posant une condition sur laquelle "elle n’avait pas la maîtrise", poursuit Jean-Paul Chagnollaud, président d’honneur de l’Institut de recherche et d’études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (...)
Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron début juin, Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, a garanti une future gouvernance palestinienne sans le Hamas.
Mais au-delà des seuls enjeux palestiniens, la diplomatie française compose avec une tension mondiale exacerbée depuis le 7-Octobre.
Porté par de nombreux pays du "Sud global", un grief grandit dans l’enceinte des Nations unies, celui du "deux poids deux mesures" des puissances occidentales : celles-ci sont accusées de sanctionner avec vigueur la guerre de Poutine en Ukraine, tout en laissant Israël bombarder des civils à Gaza.
La famine, le point de bascule pour Paris ?
En 2024, trois pays d’Europe de l’Ouest – la Norvège, l’Espagne et l’Irlande – ont pourtant officiellement reconnu l’État palestinien, rejoignant de nombreuses capitales européennes ayant déjà franchi ce pas. Plus de 140 des 193 pays membres de l’Organisation des Nations unies reconnaissent officiellement l’État de Palestine. (...)
Fin juillet, des images de bébés gazaouis affamés ont fait le tour du monde. Selon Amnesty International, "Israël utilise de façon continue la famine comme méthode de guerre, ce qui constitue un crime de guerre", réaffirme l’ONG, qui demandait, le 26 juillet, à la France de "passer des mots à l’action".
Le constat n’est plus circonscrit au monde humanitaire. Le 28 juillet, Donald Trump lui-même, représentant une Amérique alliée d’Israël, affirmait voir des signes de "réelle famine" à Gaza.
Pour la France, la famine a ainsi probablement constitué un point de bascule, généré un sentiment de "trop c’est trop", résume Jean-Paul Chagnollaud.
Le ministère palestinien de la Santé fait état de 57 000 morts dans la bande de Gaza depuis octobre 2023.
Emmanuel Macron face à l’impasse proche-orientale
Mais une analyse de nature géopolitique a aussi guidé Paris. Car la guerre à Gaza reste aux mains de trois acteurs, note Adel Bakawan. Israël, le Hamas, ainsi que les États-Unis. "Or aucun de ces trois acteurs n’a l’intention de mettre fin au conflit", estime le chercheur. (...)
Face à cette impasse, Emmanuel Macron a saisi l’opportunité pour "proposer une autre perspective, sur le terrain politique", poursuit Adel Bakawan.
En septembre, la France devrait devenir le premier pays du G7 à reconnaître l’existence d’un État palestinien.
Un tel geste diplomatique peut-il toutefois faire taire les armes au Proche-Orient ?
"C’est un pas important", conclut Jean-Paul Chagnollaud : "Une puissance telle que la France pose le principe que l’unique façon de parvenir à une paix juste et durable, c’est de se conformer au droit international".
Amnesty International
Pétition Génocide à Gaza : la France doit mettre fin à l’impunité d’Israël !