
Nos données racontent la diversité des situations auxquelles policiers et gendarmes sont confrontés au quotidien et exposent la manière dont ils y répondent. Dans plusieurs cas, une alternative au recours à la force aurait pu être mise en œuvre.
Les interventions des forces de l’ordre ayant entraîné la mort atteignent un niveau inédit depuis quatre ans. Nous comptabilisons une cinquantaine de décès liés à une interaction avec les forces de l’ordre en 2024 (52 décès) et en 2023 (50 décès), au même niveau que les années 2021 et 2022. C’est le double de la décennie précédente (2010-2019), lorsque nous comptabilisions un peu plus d’une vingtaine de décès, en moyenne.
Que nous disent ces données sur les missions des forces de l’ordre ? Sur les circonstances où celles-ci entraînent la mort d’une personne et sur la légitimité, ou pas, du recours à la force ou à l’ouverture du feu, quand c’est le cas ? Elles racontent la diversité des situations auxquelles policiers et gendarmes sont confrontés au quotidien et exposent la manière dont ils y répondent : du forcené qui se retranche à son domicile, de l’adolescent à scooter qui prend peur à la vue de la BAC, d’un individu en décompensation psychique qui agit de manière irrationnelle voire dangereuse, de la femme qui, menacée par son ex-conjoint, active son téléphone « grand danger », du petit braqueur qui tente de dévaliser une banque, du conflit de voisinage qui dégénère, du sans-papier placé en rétention dont on ignore les demandes de soins… Et bien d’autres cas encore.
Des forces de l’ordre de plus en plus confrontées à la détresse psychologique (...)
Près d’une quinzaine de personnes ont ainsi été tuées ou sont décédées (un suicide en détention) en 2023 et 2024 alors qu’ils étaient visiblement en grande détresse psychique. Dans une dizaine d’autres affaires, les personnes tuées adoptaient un comportement irrationnel, sans autre motivation apparente qu’une forme de colère ou de rage, comme cet homme de 39 ans qui, en Seine-Maritime, s’en prend à des gendarmes et à leur véhicule avec une débroussailleuse.
Scénario classique de ce type d’interventions des forces de l’ordre : alertés par des voisins ou des proches inquiets, ou pour un tapage nocturne, des policiers ou gendarmes arrivent sur place, constatent qu’une personne est menaçante car exhibant un couteau, ou – c’est également arrivé – un sabre japonais, un vieux fusil Winchester, un produit inflammable… Puis ouvrent le feu et la tuent, en ayant quelquefois tenté préalablement de l’immobiliser, en vain, avec un taser ou un LBD.
Comment faire en sorte que, dans ces cas, les forces de l’ordre qui interviennent en premier recours soient formées à gérer ce type de situation sans immédiatement user de la force, ou soient en appui de personnels de santé qui, eux, seraient en mesure d’apaiser la personne en crise autrement que par des décharges de taser ou un tir ? Encore faut-il que la santé mentale ne soit pas l’un des grands sujets oubliés par les pouvoirs publics. Des études canadiennes démontrent le lien entre le désinvestissement dans les services de soins et la fréquence des interventions policières auprès de profils atteintes de troubles psychiatriques.
Maintien de l’ordre en mode colonial (...)
répression en Nouvelle-Calédonie. Sept personnes ont été tuées par les forces de l’ordre, dont cinq par le GIGN, dans le cadre du mouvement de contestation de la réforme électorale. Ce sont principalement des militants indépendantistes kanaks, présentés comme appartenant à la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT) et suspectés d’avoir pris part à des affrontements. A ces sept morts, s’ajoutent deux personnes tuées par des agents hors service, lors d’une altercation entre indépendantistes et gendarmes mobiles, et entre policiers et manifestants sur un barrage routier.
Quel que soit leurs statut administratif, les « colonies » bénéficient toujours d’un traitement bien particulier en matière de répression débridée. (...)
Des courses-poursuites risquées pour des délits mineurs
Les accidents routiers liés à un « refus d’obtempérer » après une course-poursuite sont en nette augmentation. On en dénombre 30 en 2023 et 2024. Ce type de drames risque de se multiplier avec la nouvelle circulaire voulue par le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Ces courses-poursuites devront être systématiquement engagées, non plus en cas « de grande gravité » mais « par principe »… (...)
Agir contre les violences conjugales
Trois hommes sont également décédés lors d’une intervention d’agents face à des violences conjugales, soit alertés par un proche pour faire cesser une violence en cours, soit pour répondre à l’activation d’un téléphone « grand danger ». L’un, muni d’une arme blanche, a été tué par balle, le deuxième est mort accidentellement en fuyant les agents, un troisième s’est suicidé après avoir été blessé par les policiers. Si ce type d’interventions est appelé à se multiplier, une réflexion serait probablement utile pour éviter que les femmes victimes de violence ne portent en plus le poids d’une éventuelle culpabilité suite au décès de leur conjoint violent. (...)
Vérité et justice : c’est pour quand ?
Si l’IGPN (police nationale) et l’IGGN (gendarmerie) réalisent désormais leur propre recensement, qui vient confirmer le nôtre, le ministère de l’Intérieur a encore beaucoup de mal avec la transparence et les leçons à tirer de ces interventions. Pire, la propension à dissimuler la vérité quand le recours à la force est arbitraire et illégitime est toujours de mise. (...)