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Santé : changer d’organigramme ne résoudra aucun problème
#Santé #ARS #départements #inegalites
Article mis en ligne le 27 novembre 2025
dernière modification le 24 novembre 2025

Depuis l’annonce surprise par Sébastien Lecornu vendredi 14 novembre d’une réforme du pilotage du système de santé, le débat sur le sujet est rouvert. Mais loin de résoudre les problèmes d’inégalités devant les soins, une atomisation du système risque de rendre les départements financièrement prisonniers des groupes privés.

(...) 1 - Des ARS bouc-émissaire des politiques budgétaires gouvernementales

Le cœur des annonces du Premier ministre, bien qu’elles restent floues, concerne le champ des agences régionales de santé. Il promet notamment aux conseils départementaux un transfert de compétences complet pour l’ensemble du champ médico-social, c’est à dire l’accompagnement du handicap des enfants (aujourd’hui ARS), des adultes (aujourd’hui partagé) et des personnes âgées en perte d’autonomie, en particulier les EHPAD, qui sont aujourd’hui une compétence partagée.

De manière plus inattendue, il propose également de déléguer aux départements une compétence concernant “les soins de proximité”, ce dont on ne sait pas grand chose, et de remettre entre les mains des préfets les contrôles de santé-environnementale : eau potable, baignades, lutte contre l’habitat indigne.

L’argument est connu : les ARS sont des entités trop technocratiques et loin du terrain pour les uns, trop autonomes pour les autres. Néanmoins, il faut analyser concrètement ce que cela signifie : dans un contexte de difficultés majeures du système de santé, on impute aux ARS tour à tour la technocratie, l’éloignement, l’austérité budgétaire. Pourtant, d’une région à l’autre on constate des différences - questionnables en soi - , et durant la crise COVID, on a pu voir leur capacité de manœuvre rapide en soutien aux hôpitaux, en organisation de la vaccination, en coordination des ressources rares.

Il faut pourtant rappeler quelques éléments fondamentaux : si les ARS disposent d’une autonomie rare dans le champ des administrations françaises, elles restent un opérateur du ministère de la santé, dont les directeurs sont nommés en conseil des ministres. C’est à dire que si une politique générale de santé mise en œuvre par les ARS pose problème, elle est à chercher du côté des orientations politiques en tant que telles : le financement de la santé relève du projet de loi de financement de la sécurité sociale, en débat actuellement à l’Assemblée. Les critères réglementaires et d’organisation des structures hospitalières qui conduisent à fermer des services d’urgence ou des maternités sont définis par les sociétés savantes de médecine, le ministère et la Haute Autorité de santé, et ainsi de suite.

Quant à la proximité, la critique est connue et fondée. Les ARS sont éloignées du terrain dans de nombreuses régions. Mais comment demander à leurs agents d’être présents au quotidien quand les effectifs de leurs Délégations départementales ont été divisés par deux dans la plupart des départements, sous la pression des réductions d’effectifs demandées par les lois de finances successives ? Un Etat présent nécessite des agents publics. (...)

Supprimer les ARS changera-t-il les orientations gouvernementales ? On peut en douter. En revanche, les difficultés du système de santé, et les difficultés de la population à être et rester en bonne santé tout comme à être soignés sont majeures et vont en s’aggravant. Les annonces y répondent-t-elles ?

2 - Des annonces qui ne parlent pas du fond : l’amélioration du système de santé (...)

en France, nous ne manquons pas de connaissances, les diagnostics territoriaux appuyés sur les données de l’Assurance maladie, des hôpitaux et des outils de la statistique publique sont omniprésents et connus de tous les acteurs concernés. Les diagnostics qualitatifs élaborés avec les professionnels, élus, associations, maisons de santé, CPTS sont légion et connus également.

Ce qui manque, c’est la capacité à répondre aux enjeux identifiés dans ces diagnostics, et les moyens techniques, financiers et humains de mettre en œuvre une politique publique de santé, ce dont ne parlent pas les annonces. (...)

On peut dans ce contexte se questionner sur la capacité des départements, déjà en grande difficulté financière suite à la suppression par les gouvernements successifs de ces dernières années de la quasi-totalité de leurs recettes fiscales, à prendre en charge de nouvelles compétences d’organisation et de nouveaux coûts pour faire face, tout comme à régler la pénurie de professionnels, alors que les leviers dépassent largement l’échelle départementale : formation, rémunérations, carrières, modes d’exercice… Paradoxalement, les leviers d’attractivité connus et pertinents à l’échelle locale concernent surtout les dimensions non sanitaires : accès au logement, qualité de vie, dynamisme général du territoire…

3 - Décentraliser ou atomiser ? La concurrence comme horizon plutôt que la régulation selon les besoins

Structurellement, les départements dont la population aura les plus grands besoins, c’est à dire les départements ruraux vieillissants et les départements les plus pauvres (dans le nord, en Occitanie, en Ile-de-France, dans les DROM) seront aussi ceux avec le moins de ressources à leur main, notamment financières. Toute la littérature scientifique en santé publique démontre pourtant le lien entre mauvais état de santé et faiblesse des revenus ou du niveau d’éducation. Dans ce contexte, les départements les plus fragiles devraient dans le même temps répondre seuls à trois écueils majeurs qui les frappent déjà : des besoins plus importants et en hausse rapide (les dépenses des départements pour le handicap ont doublé en 20 ans), des ressources, notamment financières plus faibles, et une moindre attractivité pour les professionnels de santé.

Ces mêmes départements seront par ailleurs concurrencés de manière bien plus intense qu’aujourd’hui par leurs voisins plus riches (ceux qui hébergent des métropoles, les départements côtiers ou touristiques) pour attirer des professionnels (...)

dans un contexte institutionnel où les préfets sont évalués par le ministre de l’Intérieur sur l’atteinte des objectifs sécuritaires, comment prévenir les dérives autoritaires et délétères pour la santé ?

Comment empêcher qu’un contrôle de logement insalubre, au bénéfice du locataire, ne se transforme en arrestation et OQTF du locataire, car on sait que les étrangers, plus vulnérables, sont plus souvent locataires de marchands de sommeil ? Comment éviter que les interventions de prévention du saturnisme ou de dépistage de la tuberculose auprès des personnes vivant en campement ne tournent systématiquement à l’expulsion pure et simple comme c’est déjà trop souvent le cas, ou encore que les résultats de contrôles ne soient sacrifiés sur l’autel du développement économique, comme nous l’ont montré plusieurs affaires ?

Il ne faut toutefois pas idéaliser l’existant. Le pilotage actuel du système de santé n’est absolument pas irréprochable sur le plan de l’égalité, comme le relèvent de nombreux acteurs, et comme nous le montrons dans le dernier Rapport sur l’état des services publics.

Toutefois, il existe une différence fondamentale entre un système appuyé sur un financement solidaire national (via la Sécurité sociale) et sur une gouvernance multi-niveaux (Ministère, ARS, partenaires et établissements) et un système dispersé entre acteurs de petite taille (départements et communes) : là où les grands acteurs ont le choix de leur politique, grâce à leur surface financière et leur capacité normative et de négociation, les acteurs plus fragiles devront subir les effets de la concurrence entre eux pour l’attraction des ressources, et les injonctions des acteurs les plus puissants du système, en particulier les grands organismes gestionnaires d’équipements, c’est à dire les groupes privés, qu’ils soient de l’ESS ou lucratifs, les gros établissements publics, et les acteurs financiers comme les groupes de laboratoires ou d’imagerie

4 - Des régulateurs et financeurs affaiblis face à un privé puissant : le service public rendu impossible ? (...)

là où le privé ne trouve pas assez de pistes de profit, alors il n’y aura rien, ou pas grand chose.

C’est la logique qui a permis à Orpea et Korian de s’implanter dans le secteur des EHPAD, poussés par les départements déjà à l’époque, ou aux gestionnaires de crèches privés d’ouvrir des équipements dans les territoires ou les communes ne peuvent pas investir. Il existe un risque important d’assister à une amplification de ce phénomène (...)

Là où la préférence au privé est une question de choix politique pour le ministère de la santé, l’Assurance Maladie ou les ARS, elle deviendra un choix contraint pour les départements : seuls les départements les plus riches pourront choisir le service public, et les investissements qui vont avec, quand les autres devront faire avec ce que voudront bien investir les acteurs privés. C’est l’impossibilité de l’existence du service public dans de nombreux territoires qui est en jeu.

On peut changer l’organigramme et transférer le pouvoir de décision à n’importe quelle institution, si celle-ci ne dispose pas de l’ampleur, des moyens financiers, juridiques et techniques suffisants, elle ne permettra pas de choisir démocratiquement le modèle de santé que souhaitent les Françaises et les Français.

Pour conserver les moyens de faire des choix, il est indispensable d’assumer le rôle de régulation national de l’Etat et de la Sécurité sociale concernant les financements d’assurance maladie. Il est également indispensable de disposer d’un pouvoir de décision placé à un niveau et avec les capacités financière et techniques suffisantes pour véritablement contrôler, négocier voire rejeter les tentatives du secteur privé lucratif, sans être prisonnier d’un monopole local ou d’une incapacité financière. (...)

5 - Au delà du statu-quo : transformer la gouvernance à partir de la réponse aux besoins de la population, assumer le besoin de régulation

Si les annonces de Sébastien Lecornu ne répondent à aucun enjeu concret de réponse aux besoins de santé publique, des pistes ou principes d’évolution pourraient faire l’objet de discussion. Nous en esquissons quelques-uns ici, pour ouvrir le débat :

Le premier, rappelé par plusieurs tribunes et par les associations de patients comme de professionnels, serait d’organiser une véritable concertation autour des besoins et de la structuration de la réponse à ces besoins, pour adapter le pilotage aux enjeux concrets (...)

Le second serait d’assumer la nécessité de faire face à un véritable mur d’investissements publics lié au vieillissement de la population, au fait qu’un tiers des Françaises et Français vit avec une maladie chronique, à l’augmentation des coûts technologiques, énergétiques et matériels, à la nécessité de penser l’aménagement du territoire ou la structuration massive de la prévention. (...)

Troisièmement, il faut répondre à l’impératif d’égalité, en créant un véritable service public des soins de proximité, territorialement responsable et associant l’ensemble des professionnels et structures sur le terrain, avec l’objectif explicite d’égalité d’accès. (...)

Finalement, sortir de la fausse alternative entre Etat et collectivités car ni l’un ni les autres ne sont par essence garants de l’égalité et de l’efficacité. Ces effets sont le produit d’orientations politiques et budgétaires, traduites dans des instruments concrets de pilotage, d’organisation et d’action sur le terrain (...)

Quoi qu’il en soit, ce débat ne doit ni rester un débat de technocrates, ni un objet de “deal” entre grandes associations d’élus et gouvernement.

Ce débat doit être un débat largement citoyen et démocratique, car l’enjeu concerne chacun et chacune, en particulier les plus vulnérables. A ce titre, la place accrue des citoyens, des associations d’usagers du système de santé, des professionnels doit être un enjeu de débats dans un système rénové, de même que celle des différentes représentations : l’élu local ou national n’a jamais eu, dans l’histoire républicaine, le monopole de la représentation démocratique, de même que le préfet n’a jamais eu le monopole réel, même s’il l’a souvent revendiqué, de celui de la représentation de la puissance publique.

Ce qui est en jeu, c’est de savoir qui décidera de notre accès aux soins, aux places d’EHPAD, aux accompagnements des enfants en situation de handicap. C’est bien trop important pour que cela se décide sans nous.