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Pressenza/Mensur Haliti, fondateur de la Fondation Roma for Democracy
Slovénie : Quand la peur devient politique
#Slovenie #Bouc-emissaires #Roms #UE
Article mis en ligne le 10 novembre 2025
dernière modification le 8 novembre 2025

Lorsque la peur devient politique, elle sape l’État de droit : la réaction de la Slovénie au meurtre d’Aleš Šutar est devenue un avertissement pour l’Europe.

Lorsque la peur remplace la raison, la démocratie commence à s’effriter. La réaction de la Slovénie au meurtre d’Aleš Šutar à Novo Mesto a démontré la rapidité avec laquelle la justice peut céder la place à la colère et comment la quête de contrôle d’un État peut éroder ses fondements mêmes. Ce qui n’était au départ qu’une affaire criminelle est devenu un miroir pour l’Europe, révélant que lorsque la peur se politise, elle ne gouverne pas, mais détruit l’État de droit.

En quelques heures, l’identité rom du suspect a éclipsé les preuves dans les gros titres. Les présentateurs de télévision rivalisaient d’indignation, des ministres ont fait preuve de responsabilité en démissionnant, et la foule scandait des slogans tels que : « Assez de la violence des Roms ! »

Une affaire criminelle est devenue un théâtre national. La douleur, un scénario. La peur, un instrument politique. Pour les Roms, cette histoire n’a rien de nouveau. Dès que le pouvoir vacille, il s’en prend à une cible familière. En 1942, les Roms de Dolenjska furent déportés dans les camps de Rab et de Gonars, où presque tous périrent. En 2006, la famille Strojan fut expulsée d’Ambrus sous prétexte de « maintenir l’ordre » par la police. En 2009, Silvo Hudorović fut battu à mort ; en 2019, une maison rom fut incendiée ; en 2022, des adolescents furent agressés à Murska Sobota. Chaque décennie laisse une cicatrice et un silence.

La peur est une politique peu coûteuse. Elle coûte moins cher que les réformes et assure une plus grande couverture médiatique que l’expertise. Novo Mesto, épicentre de ces troubles, se situe dans une région où la présence rom est antérieure à toute remise en question de son existence par l’État. Des documents du XVe siècle décrivent des commerçants et artisans roms sur les marchés locaux, qui reliaient les villes bien avant que la Slovénie n’ait de frontières. C’est de ces mêmes vallées qu’en 1942, la quasi-totalité des Roms furent déportés dans des camps fascistes. Rares furent ceux qui revinrent. Leurs descendants ont reconstruit l’économie même qui les exclut aujourd’hui.

Lors de l’éclatement de la Yougoslavie, les Roms – qui avaient bâti ses usines et entretenu ses routes – sont devenus citoyens de frontières qui ne les désiraient plus. La Slovénie est entrée en Europe avec des ambitions démocratiques et une angoisse identitaire. Elle a transformé cette angoisse en politique. Depuis 2010, trois plans nationaux d’« inclusion des Roms » ont promis l’égalité tout en institutionnalisant la surveillance. Les campements roms sont considérés comme des « risques pour la sécurité ». Les budgets alloués à l’inclusion transitent par la police et les services sociaux. L’égalité est perçue comme une menace.

Quelques jours avant le meurtre, la Slovénie accueillait le sommet MED9 sous sa présidence européenne, se présentant comme progressiste, innovante et inclusive. Ursula von der Leyen et le roi Abdallah II louaient sa diplomatie ouverte. Une semaine plus tard, ses rues résonnaient de slogans haineux et de violence. Ce contraste n’est pas une contradiction, mais une mise en scène. Cosmopolitisme à l’export, bouc émissaire à des fins politiques internes.

Dans une Europe où les Roms sont six fois plus nombreux que les Slovènes, le traitement réservé par la Slovénie à ses citoyens roms ne saurait être considéré comme un simple caprice. Il reflète une pratique courante sur le continent : gérer l’insécurité en la projetant sur les plus vulnérables.

En Slovénie, la peur n’est pas spontanée. Elle est gérée comme un poste budgétaire. Les politiciens l’utilisent pour unir un électorat divisé (...)

Elle alimente l’économie d’un petit État où l’indignation coûte moins cher que les réformes.

Bruxelles y contribue. Depuis vingt ans, l’UE mesure l’« inclusion » en termes de réunions, et non de sécurité. Les rapports règlent les comptes moraux sans modifier l’équilibre politique. Un système créé pour promouvoir l’égalité s’est transformé en un système qui subventionne son absence.

Derrière chaque gros titre de journal se cache une maison. À Žabjak, une femme cloue des panneaux de contreplaqué à ses fenêtres. À Brezje, un jeune homme supprime sa photo des réseaux sociaux. Les parents gardent leurs enfants à la maison ; les personnes âgées entendent encore les échos de ces nuits où le silence précédait la violence.

L’État n’a plus besoin de décrets pour isoler les Roms : l’incertitude s’en charge. Or, c’est précisément dans cette incertitude que réside le savoir-faire le plus ancestral des Roms : la reconstruction. Chaque fois que l’Europe tente de les anéantir, ils reconstruisent leur communauté à partir des vestiges. La résistance n’est pas résignation, elle est connaissance, elle est cette conscience civique que l’Europe a perdue tandis que les Roms apprenaient à survivre à ses échecs.

Justice pour Aleš Šutar et sécurité pour les Roms ne sont pas des exigences contradictoires. Elles sont indissociables de la stabilité de la Slovénie. La justice exige des preuves, non des émotions. La sécurité exige une protection égale, non une culpabilité collective. Lorsque la loi devient sélective, l’autorité devient éphémère.

Si la Slovénie souhaite renouer avec les fondements de sa démocratie et honorer les engagements pris lors de son adhésion à l’Union européenne, plusieurs conditions doivent être remplies. Le meurtre d’Aleš Šutar doit faire l’objet d’une enquête complète et impartiale, exempte de toute ingérence politique et de tout préjugé ethnique. Le gouvernement doit condamner publiquement les discours de haine et la culpabilisation collective visant les Roms et réaffirmer que l’égalité devant la loi est un principe non négociable. La sécurité des Roms doit être garantie par une protection visible et efficace partout où des menaces ou des actes d’intimidation se produisent.

Ce processus devrait s’accompagner d’un contrôle indépendant exercé par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Commission contre le racisme et l’intolérance du Conseil de l’Europe, afin de garantir que les institutions slovènes agissent conformément à leurs obligations au titre de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. Enfin, la responsabilité doit s’étendre à tous les niveaux de gouvernement (...)

Il ne s’agit pas de mesures exceptionnelles, mais bien des exigences minimales de crédibilité pour tout État membre qui prétend défendre l’État de droit en Europe.

Les Roms vivent sur le sol slovène depuis six siècles et ont survécu au fascisme, au socialisme et à la transition. Ils ont appris ce que les États n’apprennent jamais : comment surmonter un effondrement sans le reproduire. La survie des Roms n’est pas une légende, mais une mémoire politique, la preuve que la loi n’a de sens que lorsqu’elle est partagée. Si l’Europe veut redécouvrir le sens de la civilisation, elle devrait commencer par s’inspirer de ceux qu’elle a le plus négligés. Le pouvoir perdure non par la domination, mais par la bienveillance.

La Slovénie se trouve aujourd’hui prise entre le masque et les principes. (...)

Les États ne s’effondrent pas sous l’effet d’invasions, mais se désagrègent de l’intérieur, lorsque la confiance entre les citoyens et la loi disparaît. Ce désagrégation a déjà un visage : celui des Roms, qui ont subi les conséquences des promesses non tenues de l’Europe, et qui demeurent pourtant la preuve la plus tangible de sa résilience. Leur sécurité déterminera si la Slovénie, et par extension l’Europe, se souviendra un jour de ce que signifie être civilisé.